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effroyable, entre ces prisons et ces cimetières : c’est là que s’exercèrent les jugements iniques des hommes, là où Dieu avait prononcé les arrêts de son inviolable justice[1].


Chapitre VII - Cimetières de campagne

Les anciens n’ont point eu de lieux de sépulture plus agréables que nos cimetières de campagne : des prairies, des champs, des eaux, des bois, une riante perspective, mariaient leurs simples images avec les tombeaux des laboureurs. On aimait à voir le gros if qui ne végétait plus que par son écorce, les pommiers du presbytère, le haut gazon, les peupliers, l’ornement des morts, et les buis, et les petites croix de consolation et de grâce. Au milieu des paisibles monuments, le temple villageois élevait sa tour surmontée de l’emblème rustique de la vigilance. On n’entendait dans ces lieux que le chant du rouge-gorge et le bruit des brebis qui broutaient l’herbe de la tombe de leur ancien pasteur.

Les sentiers qui traversaient l’enclos bénit aboutissaient à l’église ou à la maison du curé : ils étaient tracés par le pauvre et le pèlerin, qui allaient prier le Dieu des miracles ou demander le pain de l’aumône à l’homme de l’Evangile : l’indifférent ou le riche ne passait point sur ces tombeaux.

On y lisait pour toute épitaphe : Guillaume ou Paul, né en telle année, mort en telle autre. Sur quelques-uns il n’y avait pas même de nom. Le laboureur chrétien repose oublié dans la mort, comme ces végétaux utiles au milieu desquels il a vécu ; la nature ne grave pas le nom des chênes sur leurs troncs abattus dans les forêts.

  1. Nous passons sous silence les abominations commises pendant les jours révolutionnaires. Il n’y a point d’animal domestique qui, chez une nation étrangère un peu civilisée, ne fût inhumé avec plus de décence que le corps d’un citoyen français. On sait comment les enterrements s’exécutaient, et comment pour quelques deniers on faisait jeter un père, une mère ou une épouse à la voirie. Encore ces morts sacrés n’y étaient-ils pas en sûreté ; car il y avait des hommes qui faisaient métier de dérober le linceul, le cercueil, ou les cheveux du cadavre. Il ne faut rapporter toutes ces choses qu’à un conseil de Dieu ; c’était une suite de la première violation sous la monarchie. Il est bien à désirer qu’on rende au cercueil les signes de religion dont on l’a privé, et surtout qu’on ne fasse plus garder les cimetières par des chiens. Tel est l’excès de la misère où l’homme tombe quand il perd la vue de Dieu, que, n’osant plus se confier à l’homme, dont rien ne garantit la foi, il se voit réduit à placer ses cendres sous la protection des animaux. (N.d.A.)