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le murmure de l’abeille de la montagne parvient à son oreille ; souvent le zéphyr, dans sa course, emporte[1] le son léger, mais bientôt il revient encore. "

  1. Drowns, noie. (N.d.A.)

Chapitre V - Otaïti

L’homme ici-bas ressemble à l’aveugle Ossian, assis sur les tombeaux des rois de Morven : quelque part qu’il étende sa main dans l’ombre, il touche les cendres de ses pères.

Lorsque les navigateurs pénétrèrent pour la première fois dans l’océan Pacifique, ils virent se dérouler au loin des flots que caressent éternellement des brises embaumées. Bientôt du sein de l’immensité s’élevèrent des îles inconnues. Des bosquets de palmiers, mêlés à de grands arbres, qu’on eût pris pour de hautes fougères, couvraient les côtes, et descendaient jusqu’au bord de la mer en amphithéâtre : les cimes bleues des montagnes couronnaient majestueusement ces forêts. Ces îles, environnées d’un cercle de coraux, semblaient se balancer comme des vaisseaux à l’ancre dans un port, au milieu des eaux les plus tranquilles : l’ingénieuse antiquité aurait cru que Vénus avait noué sa ceinture autour de ces nouvelles Cythères pour les défendre des orages.

Sous ces ombrages ignorés, la nature avait placé un peuple beau comme le ciel qui l’avait vu naître : les Otaïtiens portaient pour vêtements une draperie d’écorce de figuier ; ils habitaient sous des toits de feuilles de mûrier, soutenus par des piliers de bois odorants, et ils faisaient voler sur les ondes de doubles canots aux voiles de jonc, aux banderoles de fleurs et de plumes. Il y avait des danses et des sociétés consacrées aux plaisirs ; les chansons et les drames de l’amour n’étaient point inconnus sur ces bords. Tout s’y ressentait de la mollesse de la vie, et un jour plein de calme, et une nuit dont rien ne troublait le silence. Se coucher près des ruisseaux, disputer de paresse avec leurs ondes, marcher avec des chapeaux et des manteaux de feuillages, c’était toute l’existence des tranquilles sauvages d’Otaïti. Les soins qui chez les autres hommes occupent leurs pénibles journées étaient ignorés de ces insulaires ; en errant à travers les bois, ils trouvaient le lait et le pain suspendus aux branches des arbres.