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loin ce mort rustique voyager au milieu des blés jaunissants, qu’il avait peut-être semés. Le cercueil, couvert d’un drap mortuaire, se balançait comme un pavot noir au-dessus des froments d’or et des fleurs de pourpre et d’azur. Des enfants, une veuve éplorée, formaient tout le cortège. En passant devant la croix du chemin ou la sainte du rocher, on se délassait un moment : on posait la bière sur la borne d’un héritage, on invoquait la Notre-Dame champêtre au pied de laquelle le laboureur décédé avait tant de fois prié pour une bonne mort ou pour une récolte abondante. C’était là qu’il mettait ses bœufs à l’ombre au milieu du jour ; c’était là qu’il prenait son repas de lait et de pain bis, au chant des cigales et des alouettes. Que bien différent d’alors il s’y repose aujourd’hui ! Mais du moins les sillons ne seront plus arrosés de ses sueurs ; du moins son sein paternel a perdu ses sollicitudes, et par ce même chemin où les jours de fête il se rendait à l’église il marche maintenant au tombeau, entre les touchants monuments de sa vie, des enfants vertueux et d’innocentes moissons.


Chapitre XII - Des Prières pour les Morts

Chez les anciens, le cadavre du pauvre ou de l’esclave était abandonné presque sans honneurs ; parmi nous, le ministre des autels est obligé de veiller au cercueil du villageois comme au catafalque du monarque. L’indigent de l’Evangile, en exhalant son dernier soupir devient soudain (chose sublime !) un être auguste et sacré. A peine le mendiant qui languissait à nos portes, objet de nos dégoûts et de nos mépris, a-t-il quitté cette vie, que la religion nous force à nous incliner devant lui. Elle nous rappelle à une égalité formidable, ou plutôt elle nous commande de respecter un juste racheté du sang de Jésus-Christ, et qui, d’une condition obscure et misérable, vient de monter à un trône céleste : c’est ainsi que le grand nom de chrétien met tout de niveau dans la mort, et l’orgueil du plus puissant potentat ne peut arracher à la religion d’autre prière que celle-là même qu’elle offre pour le dernier manant de la cité.

Mais qu’elles sont admirables, ces prières ! Tantôt ce sont des cris de douleur, tantôt des cris d’espérance : le mort se plaint, se réjouit, tremble, se rassure, gémit et supplie.

Exibit spiritus ejus, etc.