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Christ, qui n’est plus un signe de douleur, mais une marque de joie. A pas lents s’avance sur deux files une longue suite de ces époux de la solitude, de ces enfants du torrent et du rocher, dont l’antique vêtement retrace à la mémoire d’autres mœurs et d’autres siècles. Le clergé séculier vient après ces solitaires ; quelquefois des prélats, revêtus de la pourpre romaine, prolongent encore la chaîne religieuse. Enfin le pontife de la fête apparaît seul dans le lointain. Ses mains soutiennent la radieuse Eucharistie, qui se montre sous un dais à l’extrémité de la pompe, comme on voit quelquefois le soleil briller sous un nuage d’or au bout d’une avenue illuminée de ses feux.

Cependant des groupes d’adolescents marchent entre les rangs de la procession : les uns présentent les corbeilles de fleurs, les autres les vases des parfums. Au signal répété par le maître des pompes, les choristes se retournent vers l’image du Soleil éternel et font voler des roses effeuillées sur son passage. Des lévites, en tuniques blanches, balancent l’encensoir devant le Très-Haut. Alors des chants s’élèvent le long des lignes saintes ; le bruit des cloches et le roulement des canons annoncent que le Tout-Puissant a franchi le seuil de son temple. Par intervalles, les voix et les instruments se taisent, et un silence aussi majestueux que celui des grandes mers[1] dans un jour de calme règne parmi cette multitude recueillie : on n’entend plus que ses pas mesurés sur les pavés retentissants.

Mais où va-t-il, ce Dieu redoutable dont les puissances de la terre proclament ainsi la majesté ? Il va se reposer sous des tentes de lin, sous des arches de feuillages, qui lui présentent, comme au jour de l’ancienne alliance, des temples innocents et des retraites champêtres. Les humbles de cœur, les pauvres, les enfants le précèdent ; les juges, les guerriers, les potentats le suivent. Il marche entre la simplicité et la grandeur, comme, en ce mois qu’il a choisi pour sa fête, il se montre aux hommes entre la saison des fleurs et celle des foudres.

Les fenêtres et les murs de la cité sont bordés d’habitants dont le cœur s’épanouit à cette fête du Dieu de la patrie : le nouveau-né tend les bras au Jésus de la montagne, et le vieillard, penché vers la tombe, se sent tout à coup délivré de ses craintes ; il ne sait quelle assurance de vie le remplit de joie à la vue du Dieu vivant.

Les solennités du christianisme sont coordonnées d’une manière admirable aux scènes de la nature. La fête du Créateur arrive au moment où la terre et le ciel déclarent sa puissance, où les bois et les champs fourmillent de générations nouvelles : tout est uni par les

  1. Bibl. Sacr. (N.d.A.)