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Chapitre III - Des chants et des prières

On reproche au culte catholique d’employer dans ses chants et ses prières une langue étrangère au peuple, comme si l’on prêchait latin et que l’office ne fût pas traduit dans tous les livres d’église. D’ailleurs, si la religion, aussi mobile que les hommes, eût changé d’idiome avec eux, comment aurions-nous connu les ouvrages de l’antiquité ? Telle est l’inconséquence de notre humeur, que nous blâmons ces mêmes coutumes auxquelles nous sommes redevables d’une partie de nos sciences et de nos plaisirs.

Mais, à ne considérer l’usage de l’Église romaine que sous ses rapports immédiats, nous ne voyons pas ce que la langue de Virgile, conservée dans notre culte (et même en certains temps et en certains lieux la langue d’Homère), peut avoir de si déplaisant. Nous croyons qu’une langue antique et mystérieuse, une langue qui ne varie plus avec les siècles, convenait assez bien au culte de l’Etre éternel, incompréhensible, immuable. Et puisque le sentiment de nos maux nous force d’élever vers le Roi des rois une voix suppliante, n’est-il pas naturel qu’on lui parle dans le plus bel idiome de la terre, et dans celui-là même dont se servaient les nations prosternées pour adresser leurs prières aux Césars ?

De plus, et c’est une chose remarquable, les oraisons en langue latine semblent redoubler le sentiment religieux de la foule. Ne serait-ce point un effet naturel de notre penchant au secret ? Dans le tumulte de ses pensées et des misères qui assiègent sa vie, l’homme, en prononçant des mots peu familiers ou même inconnus, croit demander les choses qui lui manquent et qu’il ignore ; le vague de sa prière en fait le charme, et son âme inquiète, qui sait peu ce qu’elle désire, aime à former des vœux aussi mystérieux que ses besoins.

Il reste donc à examiner ce qu’on appelle la barbarie des cantiques saints.

On convient assez généralement que dans le genre lyrique les Hébreux sont supérieurs aux autres peuples de l’antiquité : ainsi l’Église, qui chante tous les jours les psaumes et les leçons des prophètes, a donc premièrement un très beau fonds de cantiques.