Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/368

Cette page n’a pas encore été corrigée

Chapitre V - Ruines des monuments chrétiens

Les ruines des monuments chrétiens n’ont pas la même élégance que les ruines des monuments de Rome et de la Grèce ; mais sous d’autres rapports elles peuvent supporter le parallèle. Les plus belles que l’on connaisse dans ce genre sont celles que l’on voit en Angleterre, au bord du lac du Cumberland, dans les montagnes d’Ecosse et jusque dans les Orcades. Les bas côtés du chœur, les arcs des fenêtres, les ouvrages ciselés des voussures, les pilastres des cloîtres et quelques pans de la tour des cloches sont en général les parties qui ont le plus résisté aux efforts du temps.

Dans les ordres grecs, les voûtes et les cintres suivent parallèlement les arcs du ciel, de sorte que, sur la tenture grise des nuages ou sur un paysage obscur, ils se perdent dans les fonds ; dans l’ordre gothique, au contraire, les pointes contrastent avec les arrondissements des cieux et les courbures de l’horizon. Le gothique, étant tout composé de vides, se décore ensuite plus aisément d’herbes et de fleurs que les pleins dos ordres grecs. Les filets redoublés des pilastres, les dômes découpés en feuillage ou creusés en forme de cueilloir, deviennent autant de corbeilles où les vents portent, avec la poussière, les semences des végétaux. La joubarbe se cramponne dans le ciment, les mousses emballent d’inégaux décombres dans leur bourre élastique, la ronce fait sortir ses cercles bruns de l’embrasure d’une fenêtre, et le lierre, se traînant le long des cloîtres septentrionaux, retombe en festons dans les arcades.

Il n’est aucune ruine d’un effet plus pittoresque que ces débris : sous un ciel nébuleux, au milieu des vents et des tempêtes, au bord de cette mer dont Ossian a chanté les orages, leur architecture gothique a quelque chose de grand et de sombre comme le Dieu de Sinaï, dont elle perpétue le souvenir. Assis sur un autel brisé, dans les Orcades, le voyageur s’étonne de la tristesse de ces lieux ; un océan sauvage, des syrtes embrumées, des vallées où s’élève la pierre d’un tombeau, des torrents qui coulent à travers la bruyère, quelques pins rougeâtres jetés sur la nudité d’un morne flanqué de couches de neige, c’est tout ce qui s’offre aux regards. Le vent circule dans les ruines, et leurs innombrables jours deviennent autant de tuyaux d’où s’échappent des plaintes ; l’orgue avait jadis moins de soupirs sous ces voûtes religieuses. De longues herbes tremblent aux ouvertures