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avec les débris pendants de beaux accords de tristesse. Quelquefois une caravane arrêtée dans ces déserts y multiplie les effets pittoresques : le costume oriental allie bien sa noblesse à la noblesse de ces ruines, et les chameaux semblent en accroître les dimensions, lorsque, couchés entre des fragments de maçonnerie, ils ne laissent voir que leurs têtes fauves et leurs dos bossus.

Les ruines changent de caractère en Égypte : souvent elles offrent dans un petit espace diverses sortes d’architecture et de souvenirs. Les colonnes du vieux style égyptien s’élèvent auprès de la colonne corinthienne ; un morceau d’ordre toscan s’unit à une tour arabe, un monument du peuple pasteur à un monument des Romains. Des Sphinx, des Anubis, des statues brisées, des obélisques rompus, sont roulés dans le Nil, enterrés dans le sol, cachés dans des rizières, des champs de fèves et des plaines de trèfle. Quelquefois, dans les débordements du fleuve, ces ruines ressemblent sur les eaux à une grande flotte ; quelquefois des nuages, jetés en ondes sur les flancs des pyramides, les partagent en deux moitiés. Le chacal, monté sur un piédestal vide, allonge son museau de loup derrière le buste d’un Pan à tête de bélier ; la gazelle, l’autruche, l’ibis, la gerboise, sautent parmi les décombres, tandis que la poule sultane se tient immobile sur quelque débris, comme un oiseau hiéroglyphique de granit et de porphyre.

La vallée de Tempé, le bois de l’Olympe, les côtes de l’Attique et du Péloponèse étalent les ruines de la Grèce. Là commencent à paraître les mousses, les plantes grimpantes et les fleurs saxatiles. Une guirlande vagabonde de jasmin embrasse une Vénus, comme pour lui rendre sa ceinture ; une barbe de mousse blanche descend du menton d’une Hébé ; le pavot croît sur les feuillets du livre de Mnémosyne : symbole de la renommée passée et de l’oubli présent de ces lieux. Les flots de l’Egée, qui viennent expirer sous de croulants portiques, Philomèle qui se plaint, Alcyon qui gémit, Cadmus qui roule ses anneaux autour d’un autel, le cygne qui fait son nid dans le sein de quelque Léda, mille accidents, produits comme par les Grâces, enchantent ces poétiques débris : on dirait qu’un souffle divin anime encore la poussière des temples d’Apollon et des Muses ; le paysage entier, baigné par la mer, ressemble à un tableau d’Apelles consacré à Neptune et suspendu à ses rivages [NOTE 28].