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Cloître sombre, où l’amour est proscrit par le ciel,

Où l’instinct le plus cher est le plus criminel,

Déjà, déjà ton deuil plaît moins à ma pensée.

L’imagination, vers tes murs élancée,

Chercha le saint repos, leur long recueillement :

Mais mon âme a besoin d’un plus doux sentiment.

Ces devoirs rigoureux font trembler ma faiblesse.

Toutefois, quand le temps, qui détrompe sans cesse,

Pour moi des passions détruira les erreurs

Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs ;

Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète,

Dans ces moments plus doux et si chers au poète,

Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins,

Et jouir de lui-même et rêver sans témoins,

Alors je reviendrai, solitude tranquille,

Oublier dans ton sein les ennuis de la ville

Et retrouver encor sous ces lambris déserts

Les mêmes sentiments retracés dans ces vers.


Chapitre III - Les ruines en général. — Qu’il y en a de deux espèces

De l’examen des sites des monuments chrétiens nous passons aux effets des ruines de ces monuments. Elles fournissent au cœur de majestueux souvenirs et aux arts des compositions touchantes. Consacrons quelques pages à cette poétique des morts.

Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence. Il s’y joint en outre une idée qui console notre petitesse, en voyant que des peuples entiers, des hommes quelquefois si fameux, n’ont pu vivre cependant au delà du peu de jours assignés à notre obscurité. Ainsi les ruines jettent une grande moralité au milieu des scènes de la nature ; quand elles sont placées dans un tableau, en vain on cherche à porter les yeux autre part : ils reviennent toujours s’attacher sur elles. Et pourquoi les ouvrages des hommes ne passeraient-ils pas, quand le soleil qui les éclaire doit lui-même tomber de sa voûte ? Celui qui le plaça dans les cieux est le seul souverain dont l’empire ne connaisse point de ruines.

Il y a deux sortes de ruines : l’une, ouvrage du temps ; l’autre, ouvrage des hommes. Les premières n’ont rien de désagréable, parce que la nature travaille auprès des ans. Font-ils des décombres, elle y