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N’y remplirez-vous pas l’air paisible des cieux ?

Vos chagrins ne sont plus, vos passions se taisent,

Et du cloître muet les ténèbres vous plaisent.

Mais quel lugubre son, du haut de cette tour,

Descend et fait frémir les dortoirs d’alentour ?

C’est l’airain qui, du temps formidable interprète.

Dans chaque heure qui fuit, à d’humble anachorète

Redit en longs échos : Songe au dernier moment !

Le son sous cette voûte expire lentement,

Et, quand il a cessé, l’âme en frémit encore.

La méditation qui, seule dès l’aurore,

Dans ces sombres parvis marche en baissant son œil.

A ce signal s’arrête et lit sur un cercueil

L’épitaphe à demi par les ans effacée

Qu’un gothique écrivain dans la pierre a tracée.

O tableaux éloquents ! oh ! combien à mon cœur

Plaît ce dôme noirci d’une divine horreur,

Et le lierre embrassant ces débris de murailles

Où croasse l’oiseau chantre des funérailles !

Les approches du soir, et ces ifs attristés

Où glissent du soleil les dernières clartés,

Et ce buste pieux que la mousse environne,

Et la cloche d’airain à l’accent monotone

Ce temple où chaque aurore entend de saints concerts

Sortir d’un long silence et monter dans les airs ;

Un martyr dont l’autel a conservé les restes,

Et le gazon qui croît sur ces tombeaux modestes

Où l’heureux cénobite a passé sans remords

Du silence du cloître à celui de la mort !

Cependant sur ces murs l’obscurité s’abaisse,

Leur deuil est redoublé, leur ombre est plus épaisse ;

Les hauteurs de Meudon me cachent le soleil,

Le jour meurt, la nuit vient ; le couchant, moins vermeil,

Voit pâlir de ses feux la dernière étincelle.

Tout à coup se rallume une aurore nouvelle

Qui monte avec lenteur sur les dômes noircis

De ce palais voisin qu’éleva Médicis[1] ;

Elle en blanchit le faîte, et ma vue enchantée

Reçoit par ces vitraux la lueur argentée.

L’astre touchant des nuits verse du haut des cieux

Sur les tombes du cloître un jour mystérieux,

Et semble y réfléchir cette douce lumière

Qui des morts bienheureux doit charmer la paupière.

Ici je ne vois plus les horreurs du trépas :

Son aspect attendrit et n’épouvante pas.

Me trompé-je ? Ecoutons : sous ces voûtes antiques

Parviennent jusqu’à moi d’invisibles cantiques,

  1. Le Luxembourg.(N.d.A.)