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un des monuments les plus curieux de la littérature des Pères. Ainsi que saint Augustin, il trouva son écueil dans les voluptés du monde.

Il aime à peindre la nature et la solitude. Du fond de sa grotte de Bethléem, il voyait la chute de l’empire romain : vaste sujet de réflexions pour un saint anachorète ! Aussi la mort et la vanité de nos jours sont-elles sans cesse présentes à saint Jérôme !

" Nous mourons et nous changeons à toute heure, écrit-il à un de ses amis, et cependant nous vivons comme si nous étions immortels. Le temps même que j’emploie ici à dicter, il le faut retrancher de mes jours. Nous nous écrivons souvent, mon cher Héliodore ; nos lettres passent les mers, et à mesure que le vaisseau fuit notre vie s’écoule : chaque flot en emporte un moment[1]. "

De même que saint Ambroise est le Fénelon des Pères, Tertullien en est le Bossuet. Une partie de son plaidoyer en faveur de la religion pourrait encore servir aujourd’hui dans la même cause. Chose étrange, que le christianisme soit maintenant obligé de se défendre devant ses enfants, comme il se défendait autrefois devant ses bourreaux, et que l’Apologétique aux gentils soit devenue l’Apologétique aux chrétiens !

Ce qu’on remarque de plus frappant dans cet ouvrage, c’est le développement de l’esprit humain : on entre dans un nouvel ordre d’idées ; on sent que ce n’est plus la première antiquité ou le bégaiement de l’homme qui se fait entendre.

Tertullien parle comme un moderne ; ses motifs d’éloquence sont pris dans le cercle des vérités éternelles, et non dans les raisons de passion et de circonstance employées à la tribune romaine ou sur la place publique des Athéniens. Ces progrès du génie philosophique sont évidemment le fruit de notre religion. Sans le renversement des faux dieux et l’établissement du vrai culte, l’homme aurait vieilli dans une enfance interminable ; car étant toujours dans l’erreur par rapport au premier principe, ses autres notions se fussent plus ou moins ressenties du vice fondamental.

Les autres traités de Tertullien, en particulier ceux de la Patience, des Spectacles, des Martyrs, des Ornements des Femmes et de la Résurrection de la Chair, sont semés d’une foule de beaux traits. " Je ne sais (dit l’orateur en reprochant le luxe aux femmes chrétiennes), je ne sais si des mains accoutumées aux bracelets pourront supporter le poids des chaînes ; si des pieds ornés de bandelettes s’accoutumeront à la douleur des entraves. Je crains bien qu’une tête couverte de réseaux de perles et de diamants ne laisse aucune place à l’épée[2]. "

  1. Hieron. Epist. (N.d.A.)
  2. Locum spathae non det. On peut traduire, ne plie sous l’épée. J’ai préféré l’autre sens, comme plus littéral et plus énergique. Spatha, emprunté du grec, est l’étymologie de notre mot épée. (N.d.A.)