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Chapitre VIII - Bossuet historien

Mais c’est dans le Discours sur l’Histoire universelle que l’on peut admirer l’influence du génie du christianisme sur le génie de l’histoire. Politique comme Thucydide, moral comme Xénophon, éloquent comme Tite-Live, aussi profond et aussi grand peintre que Tacite, l’évêque de Meaux a de plus une parole grave et un tour sublime dont on ne trouve ailleurs aucun exemple, hors dans le début du livre des Machabées.

Bossuet est plus qu’un historien, c’est un Père de l’Église, c’est un prêtre inspiré, qui souvent a le rayon de feu sur le front, comme le législateur des Hébreux. Quelle revue il fait de la terre ! il est en mille lieux à la fois ! Patriarche sous le palmier de Tophel, ministre à la cour de Babylone, prêtre à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athènes et à Rome, il change de temps et de place à son gré ; il passe avec la rapidité et la majesté des siècles. La verge de la loi à la main, avec une autorité incroyable, il chasse pêle-mêle devant lui et Juifs et Gentils au tombeau ; il vient enfin lui-même à la suite du convoi de tant de générations, et, marchant appuyé sur Isaïe et sur Jérémie, il élève ses lamentations prophétiques à travers la poudre et les débris du genre humain.

La première partie du Discours sur l’Histoire universelle est admirable par la narration, la seconde par la sublimité du style et la haute métaphysique des idées, la troisième par la profondeur des vues morales et politiques. Tite-Live et Salluste ont-ils rien de plus beau sur les anciens Romains que ces paroles de l’évêque de Meaux ?

" Le fond d’un Romain, pour ainsi parler, était l’amour de sa liberté et de sa patrie ; une de ces choses lui faisait aimer l’autre, car, parce qu’il aimait sa liberté, il aimait aussi sa patrie comme une mère qui le nourrissait dans des sentiments également généreux et libres.

Sous ce nom de liberté les Romains se figuraient, avec les Grecs, un état où personne ne fût sujet que de la loi et où la loi fût plus puissante que personne. "

A nous entendre déclamer contre la religion, on croirait qu’un prêtre est nécessairement un esclave, et que nul avant nous n’a su