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Chapitre V - Beau côté de l’Histoire moderne

Il est juste maintenant de considérer le revers des choses et de montrer que l’histoire moderne pourrait encore devenir intéressante si elle était traitée par une main habile. L’établissement des Francs dans les Gaules, Charlemagne, les croisades, la chevalerie, une bataille de Bouvines, un combat de Lépante, un Conradin à Naples, un Henri IV en France, un Charles Ier en Angleterre, sont au moins des époques mémorables, des mœurs singulières, des événements fameux, des catastrophes tragiques. Mais la grande vue à saisir pour l’historien moderne, c’est le changement que le christianisme a opéré dans l’ordre social. En donnant de nouvelles bases à la morale, l’Evangile a modifié le caractère des nations et créé en Europe des hommes tout différents des anciens par les opinions, les gouvernements, les coutumes, les usages, les sciences et les arts.

Et que de traits caractéristiques n’offrent point ces nations nouvelles ! Ici ce sont les Germains : peuples où la corruption des grands n’a jamais influé sur les petits, où l’indifférence des premiers pour la patrie n’empêche point les seconds de l’aimer ; peuples où l’esprit de révolte et de fidélité, d’esclavage et d’indépendance, ne s’est jamais démenti depuis les jours de Tacite.

Là ce sont ces Bataves qui ont de l’esprit par bon sens, du génie par industrie, des vertus par froideur et des passions par raison.

L’Italie aux cent princes et aux magnifiques souvenirs contraste avec la Suisse, obscure et républicaine.

L’Espagne, séparée des autres nations, présente encore à l’historien un caractère plus original : l’espèce de stagnation de mœurs dans laquelle elle repose lui sera peut-être utile un jour ; et lorsque les peuples européens seront usés par la corruption, elle seule pourra reparaître avec éclat sur la scène du monde, parce que le fond des mœurs subsiste chez elle.

Mélange du sang allemand et du sang français, le peuple anglais décèle de toutes parts sa double origine. Son gouvernement formé de royauté et d’aristocratie, sa religion moins pompeuse que la catholique et plus brillante que la luthérienne, son militaire à la fois lourd et actif, sa littérature et ses arts, chez lui enfin le langage, les traits même et jusqu’aux formes du corps, tout participe des deux sources dont il découle. Il réunit à la simplicité, au calme, au bon sens, à la