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plus forte raison pour des systèmes dont le résultat est presque toujours effroyable. Ce n’était pas par défaut de génie sans doute que ce Pascal, qui, comme nous l’avons montré, connaissait si bien le vice des lois dans le sens absolu, disait dans le sens relatif : " Que l’on a bien fait de distinguer les hommes par les qualités extérieures ! Qui passera de nous deux ? Qui cédera la place à l’autre ? Le moins habile ? Mais je suis aussi habile que lui : il faudra se battre pour cela. Il a quatre laquais, et je n’en ai qu’un ; cela est visible, il n’y a qu’à compter : c’est à moi à céder, et je suis un sot si je le conteste. "

Cela répond à des volumes de sophismes. L’auteur des Pensées, se soumettant aux quatre laquais, est bien autrement philosophe que ces penseurs que les quatre laquais ont révoltés.

En un mot, le siècle de Louis XIV est resté paisible, non parce qu’il n’a point aperçu telle ou telle chose, mais parce qu’en la voyant il l’a pénétrée jusqu’au fond ; parce qu’il en a considéré toutes les faces et connu tous les périls. S’il ne s’est point plongé dans les idées du jour, c’est qu’il leur a été supérieur : nous prenons sa puissance pour sa faiblesse ; son secret et le nôtre sont renfermés dans cette pensée de Pascal :

" Les sciences ont deux extrémités qui se touchent : la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent les hommes en naissant ; l’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien et se rencontrent dans cette même ignorance d’où ils sont partis ; mais c’est une ignorance savante qui se connaît. Ceux d’entre eux qui sont sortis de l’ignorance naturelle et n’ont pu arriver à l’autre ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-là troublent le monde et jugent plus mal que tous les autres. Le peuple et les habiles composent pour l’ordinaire le train du monde ; les autres les méprisent et en sont méprisés. "

Nous ne pouvons nous empêcher de faire ici un triste retour sur nous-même. Pascal avait entrepris de donner au monde l’ouvrage dont nous publions aujourd’hui une si petite et si faible partie. Quel chef-d’œuvre ne serait point sorti des mains d’un tel maître ! Si Dieu ne lui a pas permis d’exécuter son dessein, c’est qu’apparemment il n’est pas bon que certains doutes sur la foi soient éclaircis, afin qu’il reste matière à ces tentations et à ces épreuves qui font les saints et les martyrs.