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sentiments comme l’infini. Les métaphysiciens parlent de cette pensée abstraite qui n’a aucune propriété de la matière, qui touche à tout sans se déplacer, qui vit d’elle-même, qui ne peut périr parce qu’elle est invisible, et qui prouve péremptoirement l’immortalité de l’âme : cette définition de la pensée semble avoir été suggérée aux métaphysiciens par les écrits de Pascal.

Il y a un monument curieux de la philosophie chrétienne et de la philosophie du jour : ce sont les Pensées de Pascal commentées par les éditeurs [NOTE 21]. On croit voir les ruines de Palmyre, restes superbes du génie et du temps, au pied desquelles l’Arabe du désert a bâti sa misérable hutte.

Voltaire a dit : " Pascal, fou sublime, né un siècle trop tôt. "

On entend ce que signifie ce siècle trop tôt. Une seule observation suffira pour faire voir combien Pascal sophiste eût été inférieur à Pascal chrétien.

Dans quelle partie de ses écrits le solitaire de Port-Royal s’est-il élevé au-dessus des plus grands génies ? Dans ses six chapitres sur l’homme. Or, ces six chapitres, qui roulent entièrement sur la chute originelle, n’existeraient pas si Pascal eût été incrédule.

Il faut placer ici une observation importante. Parmi les personnes qui ont embrassé les opinions philosophiques, les unes ne cessent de décrier le siècle de Louis XIV ; les autres, se piquant d’impartialité, accordent à ce siècle les dons de l’imagination et lui refusent les facultés de la pensée. C’est le dix-huitième siècle, s’écrie-t-on, qui est le siècle penseur par excellence.

Un homme impartial qui lira attentivement les écrivains du siècle de Louis XIV s’apercevra bientôt que rien n’a échappé à leur vue, mais que, contemplant les objets de plus haut que nous, ils ont dédaigné les routes où nous sommes entrés, et au bout desquelles leur œil perçant avait découvert un abîme.

Nous pouvons appuyer cette assertion de mille preuves. Est-ce faute d’avoir connu les objections contre la religion que tant de grands hommes ont été religieux ? Oublie-t-on que Bayle publiait à cette époque même ses doutes et ses sophismes ? Ne sait-on plus que Clarke et Leibnitz n’étaient occupés qu’à combattre l’incrédulité ; que Pascal voulait défendre la religion ; que La Bruyère faisait son chapitre des Esprits forts et Massillon son sermon de la Vérité d’un avenir ; que Bossuet, enfin, lançait ces paroles foudroyantes sur les athées : " Qu’ont-ils vu, ces rares génies, qu’ont-ils vu plus que les