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propre, et la science ne fut plus que le petit instrument d’une petite renommée.

L’Église n’a jamais parlé aussi sévèrement contre les études philosophiques que les divers philosophes que nous avons cités dans ces chapitres. Si on l’accuse de s’être un peu méfiée de ces lettres qui ne guérissent de rien, comme parle Sénèque, il faut aussi condamner cette foule de législateurs, d’hommes d’État, de moralistes, qui se sont élevés beaucoup plus fortement que la religion chrétienne contre le danger, l’incertitude et l’obscurité des sciences.

Où découvrira-t-elle la vérité ? Sera-ce dans Locke, placé si haut par Condillac ? dans Leibnitz, qui trouvait Locke si faible en idéologie, ou dans Kant, qui a, de nos jours, attaqué et Locke et Condillac ? En croira-t-elle Minos, Lycurgue, Caton, J.-J. Rousseau, qui chassent les sciences de leurs républiques, ou adoptera-t-elle le sentiment des législateurs qui les tolèrent ? Quelles effrayantes leçons, si elle jette les yeux autour d’elle ! Quelle ample matière de réflexions sur cette histoire de l’arbre de science, qui produit la mort ! Toujours les siècles de philosophie ont touché aux siècles de destruction.

L’Église ne pouvait donc prendre, dans une question qui a partagé la terre, que le parti même qu’elle a pris : retenir ou lâcher les rênes, selon l’esprit des choses et des temps ; opposer la morale à l’abus que l’homme fait des lumières, et tâcher de lui conserver, pour son bonheur, un cœur simple et une humble pensée.

Concluons que le défaut du jour est de séparer un peu trop les études abstraites des études littéraires. Les unes appartiennent à l’esprit, les autres au cœur ; or, il se faut donner de garde de cultiver le premier à l’exclusion du second, et de sacrifier la partie qui aime à celle qui raisonne. C’est par une heureuse combinaison des connaissances physiques et morales, et surtout par le concours des idées religieuses, qu’on parviendra à redonner à notre jeunesse cette éducation qui jadis a formé tant de grands hommes. Il ne faut pas croire que notre sol soit épuisé. Ce beau pays de France pour prodiguer de nouvelles moissons n’a besoin que d’être cultivé un peu à la manière de nos pères : c’est une de ces terres heureuses où règnent ces génies protecteurs des hommes et ce souffle divin qui, selon Platon, décèle les climats favorables à la vertu[1].

  1. Plat., de Leg., lib. V.(N.d.A.)