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en tirer. Quoi ! parce qu’on sera parvenu à démontrer la simplicité des sucs digestifs ou à déplacer ceux de la génération ; parce que la chimie aura augmenté. Ou, si l’on veut, diminué le nombre des éléments ; parce que la loi de la gravitation sera connue du moindre écolier ; parce qu’un enfant pourra barbouiller des figures de géométrie ; parce que tel ou tel écrivain sera un subtil idéologue, il faudra nécessairement en conclure qu’il n’y a ni Dieu ni véritable religion ! Quel abus de raisonnement !

Une autre observation a fortifié chez les esprits timides le dégoût des études philosophiques. Ils disent : " Si ces découvertes étaient certaines, invariables, nous pourrions concevoir l’orgueil qu’elles inspirent non seulement aux hommes estimables qui les ont faites, mais à la foule qui en jouit. Cependant, dans ces sciences appelées positives, l’expérience du jour ne détruit-elle pas l’expérience de la veille ? Les erreurs de l’ancienne physique ont leurs partisans et leurs défenseurs. Un bel ouvrage de littérature reste dans tous les temps, les siècles même lui ajoutent un nouveau lustre ; mais les sciences qui ne s’occupent que des propriétés des corps voient vieillir dans un instant leur système le plus fameux. En chimie, par exemple, on pensait avoir une nomenclature régulière[1], et l’on s’aperçoit maintenant qu’on s’est trompé. Encore un certain nombre de faits, et il faudra briser les cases de la chimie moderne. Qu’aura-t-on gagné à bouleverser les noms, à appeler l’air vital, oxygène, etc. ? Les sciences sont un labyrinthe où l’on s’enfonce plus avant au moment même où l’on croyait en sortir. "

Ces objections sont spécieuses, mais elles ne regardent pas plus la chimie que les autres sciences. Lui reprocher de se détromper elle-même par ses expériences, c’est l’accuser de sa bonne foi et de n’être pas dans le secret de l’essence des choses. Et qui donc est dans ce secret, sinon cette intelligence première qui existe de toute éternité ? La brièveté de notre vie, la faiblesse de nos sens, la grossièreté de nos instruments et de nos moyens, s’opposent à la découverte de cette formule

  1. Par les terminaisons des acides en eux et en iques : on a démontré récemment que l’acide nitrique et l’acide sulfurique n’étaient point le résultat d’une addition d’oxygène à l’acide nitreux et à l’acide sulfureux. Il y avait toujours dès le principe un vide dans le système par l’acide muriatique, qui n’avait pas de positif en eux. M. Berthollet est, dit-on, sur le point de prouver que l’azote, regardé jusqu’à présent comme une simple essence combinée avec le calorique, est une substance composée. Il n’y a qu’un fait certain en chimie, fixé par Boerhaave et développé par Lavoisier, savoir que le calorique, ou la substance qui unie à la lumière compose le feu, tend sans cesse à distendre les corps ou à écarter les unes des autres leurs molécules constitutives. (N.d.A.)