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soins nécessaires à l’éducation du cœur de votre élève, quand son cerveau sera suffisamment rempli d’objets de comparaison et de principes certains, mettez-y de l’ordre, si vous le voulez, avec la géométrie.

En outre, est-il bien vrai que l’étude des mathématiques soit si nécessaire dans la vie ? S’il faut des magistrats, des ministres, des classes civiles et religieuses, que font à leur état les propriétés d’un cercle ou d’un triangle ? On ne veut plus, dit-on, que des choses positives. Eh ! grand Dieu ! qu’y a-t-il de moins positif que les sciences dont les systèmes changent plusieurs fois par siècle ? Qu’importe au laboureur que l’élément de la terre ne soit pas homogène, ou au bûcheron que le bois ait une substance pyroligneuse ? Une page éloquente de Bossuet sur la morale est plus utile et plus difficile à écrire qu’un volume d’abstractions philosophiques.

Mais on applique, dit-on, les découvertes des sciences aux arts mécaniques ; ces grandes découvertes ne produisent presque jamais l’effet qu’on en attend. La perfection de l’agriculture, en Angleterre, est moins le résultat de quelques expériences scientifiques que celui du travail patient et de l’industrie du fermier obligé de tourmenter sans cesse un sol ingrat.

Nous attribuons faussement à nos sciences ce qui appartient au progrès naturel de la société. Les bras et les animaux rustiques se sont multipliés : les manufactures et les produits de la terre ont dû augmenter et s’améliorer en proportion. Qu’on ait des charrues plus légères, des machines plus parfaites pour les métiers, c’est un avantage : mais croire que le génie et la sagesse humaine se renferment dans un cercle d’inventions mécaniques, c’est prodigieusement errer.

Quant aux mathématiques proprement dites, il est démontré qu’on peut apprendre dans un temps assez court ce qu’il est utile d’en savoir pour devenir un bon ingénieur. Au delà de cette géométrie pratique, le reste n’est plus qu’une géométrie spéculative qui a ses jeux, ses inutilités et, pour ainsi dire ses romans comme les autres sciences. " Il faut bien distinguer, dit Voltaire, entre la géométrie utile et la géométrie curieuse… Carrez des courbes tant qu’il vous plaira, vous montrerez une extrême sagacité. Vous ressemblez à un arithméticien qui examine les propriétés des nombres au lieu de calculer sa fortune. Lorsque Archimède trouva la pesanteur spécifique des corps, il rendit service au genre humain : mais de quoi vous servira de trouver trois nombres tels que la différence des carrés de deux, ajoutée au nombre trois, fasse toujours un carré, et que la somme des trois différences, ajoutée au même cube, fasse toujours un carré ? Nugae difficiles[1]. "

  1. Quest. sur l’Encycl., Géom.(N.d.A.)