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cour (avant que cette cour eût pour elle la grandeur de son infortune) semblait à l’aise dans les vastes réduits de Louis XIV.

Quand le temps a porté un coup aux empires, quelque grand nom s’attache à leurs débris et les couvre. Si la noble misère du guerrier succède aujourd’hui dans Versailles à la magnificence des cours, si des tableaux de miracles et de martyres y remplacent de profanes peintures, pourquoi l’ombre de Louis XIV s’en offenserait-elle ? Il rendit illustres la religion, les arts et l’armée : il est beau que les ruines de son palais servent d’abri aux ruines de l’armée, des arts et de la religion.


Chapitre VIII - Des Églises gothiques

Chaque chose doit être mise en son lieu, vérité triviale à force d’être répétée, mais sans laquelle, après tout, il ne peut y avoir rien de parfait. Les Grecs n’auraient pas plus aimé un temple égyptien à Athènes que les Egyptiens un temple grec à Memphis. Ces deux monuments changés de place auraient perdu leur principale beauté, c’est-à-dire leurs rapports avec les institutions et les habitudes des peuples. Cette réflexion s’applique pour nous aux anciens monuments du christianisme. Il est même curieux de remarquer que dans ce siècle incrédule les poètes et les romanciers, par un retour naturel vers les mœurs de nos aïeux, se plaisent à introduire dans leurs fictions des souterrains, des fantômes, des châteaux, des temples gothiques : tant ont de charmes les souvenirs qui se lient à la religion et à l’histoire de la patrie ! Les nations ne jettent pas à l’écart leurs antiques mœurs comme on se dépouille d’un vieil habit. On leur en peut arracher quelques parties, mais il en reste des lambeaux, qui forment avec les nouveaux vêtements une effroyable bigarrure.

On aura beau bâtir des temples grecs bien élégants, bien éclairés, pour rassembler le bon peuple de saint Louis et lui faire adorer un Dieu métaphysique, il regrettera toujours ces Notre-Dame de Reims et de Paris, ces basiliques toutes moussues, toutes remplies des générations des décédés et des âmes de ses pères ; il regrettera toujours la tombe de quelques messieurs de Montmorency, sur laquelle il soulait se mettre à genoux durant la messe, sans oublier les sacrées fontaines où il fut porté à sa naissance. C’est que tout cela est essentiellement lié à nos mœurs ; c’est qu’un monument n’est vénérable qu’autant qu’une longue histoire du passé est pour ainsi dire empreinte sous ses