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Chapitre II - Du Chant grégorien

Si l’histoire ne prouvait pas que le chant grégorien est le reste de cette musique antique dont on raconte tant de miracles, il suffirait d’examiner son échelle pour se convaincre de sa haute origine. Avant Gui Arétin, elle ne s’élevait pas au-dessus de la quinte, en commençant par l’ut, ré, mi, fa, sol. Ces cinq tons sont la gamme naturelle de la voix, et donnent une phrase musicale pleine et agréable.

M. Burette nous a conservé quelques airs grecs. En les comparant au plain-chant, on y reconnaît le même système. La plupart des psaumes sont sublimes de gravité, particulièrement le Dixit Dominus Domino meo, le Confitebor tibi et le Laudate, pueri. L’In exitu, arrangé par Rameau, est d’un caractère moins ancien ; il est peut-être du temps de l’Ut queant laxis, c’est-à-dire du siècle de Charlemagne.

Le christianisme est sérieux comme l’homme, et son sourire même est grave. Rien n’est beau comme les soupirs que nos maux arrachent à la religion. L’office des morts est un chef-d’œuvre ; on croit entendre les sourds retentissements du tombeau. Si l’on en croit une ancienne tradition, le chant qui délivre les morts, comme l’appelle un de nos meilleurs poètes, est celui-là même que l’on chantait aux pompes funèbres des Athéniens vers le temps de Périclès.

Dans l’office de la Semaine Sainte on remarque la passion de saint Matthieu. Le récitatif de l’historien, les cris de la populace juive, la noblesse des réponses de Jésus, forment un drame pathétique.

Pergolèze a déployé dans le Stabat Mater la richesse de son art ; mais a-t-il surpassé le simple chant de l’Église ? Il a varié la musique sur chaque strophe, et pourtant le caractère essentiel de la tristesse consiste dans la répétition du même sentiment et, pour ainsi dire, dans la monotonie de la douleur. Diverses raisons peuvent faire couler les larmes, mais les larmes ont toujours une semblable amertume ; d’ailleurs, il est rare qu’on pleure à la fois pour une foule de maux ; et quand les blessures sont multipliées, il y en a toujours une plus cuisante que les autres, qui finit par absorber les moindres peines. Telle est la raison du charme de nos vieilles romances françaises. Ce chant pareil qui revient à chaque couplet sur des paroles variées imite parfaitement la nature : l’homme qui souffre promène ainsi ses pensées sur différentes images, tandis que le fond de ses chagrins reste le même.