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Nous terminerons ce parallèle et notre poétique chrétienne par un essai qui fera comprendre dans un instant la différence qui existe entre le style de la Bible et celui d’Homère ; nous prendrons un morceau de la première pour la peindre des couleurs du second. Ruth parle ainsi à Noémi :

" Ne vous opposez point à moi en me forçant à vous quitter et à m’en aller : en quelque lieu que vous alliez, j’irai avec vous. Je mourrai où vous mourrez ; votre peuple sera mon peuple et votre Dieu sera mon Dieu[1]. "

Tâchons de traduire ce verset en langue homérique :

" La belle Ruth répondit à la sage Noémi, honorée des peuples comme une déesse : Cessez de vous opposer à ce qu’une divinité m’inspire ; je vous dirai la vérité telle que je la sais et sans déguisement. Je suis résolue de vous suivre. Je demeurerai avec vous, soit que vous restiez chez les Moabites, habiles à lancer le javelot, soit que vous retourniez au pays de Juda, si fertile en oliviers. Je demanderai avec vous l’hospitalité aux peuples qui respectent les suppliants. Nos cendres seront mêlées dans la même urne, et je ferai au Dieu qui vous accompagne toujours des sacrifices agréables.

Elle dit : et comme, lorsque le violent zéphyr amène une pluie tiède du côté de l’occident, les laboureurs préparent le froment et l’orge et font des corbeilles de jonc très proprement entrelacées, car ils prévoient que cette ondée va amollir la glèbe et la rendre propre à recevoir les dons précieux de Cérès, ainsi les paroles de Ruth, comme une pluie féconde, attendrirent le cœur de Noémi. "

Autant que nos faibles talents nous ont permis d’imiter Homère, voilà peut-être l’ombre du style de cet immortel génie. Mais le verset de Ruth, ainsi délayé, n’a-t-il pas perdu ce charme original qu’il a dans l’écriture ? Quelle poésie peut jamais valoir ce seul tour : " Populus tuus populus meus, Deus tuus Deus meus. " Il sera aisé maintenant de prendre un passage d’Homère, d’en effacer les couleurs et de n’en laisser que le fond à la manière de la Bible.

Par là nous espérons (du moins aussi loin que s’étendent nos lumières) avoir fait connaître aux lecteurs quelques-unes des innombrables beautés des livres saints : heureux si nous avons réussi à leur faire admirer cette grande et sublime pierre qui porte l’Église de Jésus-Christ !

" Si l’Ecriture, dit saint Grégoire le Grand, renferme des mystères capables d’exercer les plus éclairés, elle contient aussi des vérités

  1. Ruth., chap., I, v. 6. (N.d.A.)