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" UIysse, prenant dans sa forte main un pan de son superbe manteau de pourpre, le tirait sur sa tête pour cacher son noble visage et pour dérober aux Phéaciens les pleurs qui lui tombaient des yeux. Quand le chantre divin suspendait ses vers, Ulysse essuyait ses larmes, et, prenant une coupe, il faisait des libations aux dieux. Quand Démodocus recommençait ses chants et que les anciens l’excitaient à continuer (car ils étaient charmés de ses paroles), Ulysse s’enveloppait la tête de nouveau, et recommençait à pleurer. "

Ce sont des beautés de cette nature qui de siècle en siècle ont assuré à Homère la première place entre les plus grands génies. Il n’y a point de honte à sa mémoire de n’avoir été vaincu par de pareils tableaux que par des hommes écrivant sous la dictée du Ciel. Mais vaincu, il l’est sans doute, et d’une manière qui ne laisse aucun subterfuge à la critique.

Ceux qui ont vendu Joseph, les propres frères de cet homme puissant, retournent vers lui sans le reconnaître, et lui amènent le jeune Benjamin, qu’il avait demandé.

" Joseph les salua aussi en leur faisant bon visage, et il leur demanda : Votre père, ce vieillard dont vous parliez, vit-il encore, se porte-t-il bien ?

Ils lui répondirent : Notre père, votre serviteur, est encore en vie, et il se porte bien ; et, en se baissant profondément, ils l’adorèrent.

Joseph, levant les yeux, vit Benjamin, son frère, fils de Rachel, sa mère, et il leur dit : Est-ce là le plus jeune de vos frères dont vous m’aviez parlé ? Mon fils, ajouta-t-il, je prie Dieu qu’il vous soit toujours favorable.

Et il se hâta de sortir, parce que ses entrailles avaient été émues en voyant son frère, et qu’il ne pouvait plus retenir ses larmes : passant donc dans une autre chambre, il pleura.

Et après s’être lavé le visage, il revint, et, se faisant violence, dit à ses serviteurs : Servez à manger[1]. "

Voilà les larmes de Joseph en opposition à celles d’Ulysse ; voilà des beautés semblables, et cependant quelle différence de pathétique ! Joseph, pleurant à la vue de ses frères ingrats et du jeune et innocent Benjamin, cette manière de demander des nouvelles d’un parc, cette adorable simplicité, ce mélange d’amertume et de douceur, sont des choses ineffables ; les larmes en viennent aux yeux, et l’on se sent prêt à pleurer comme Joseph.

Ulysse caché chez Eumée se fait reconnaître à Télémaque ; il sort de la maison du pasteur, dépouille ses haillons, et, reprenant sa beauté par un coup de baguette de Minerve, il rentre pompeusement vêtu.

Qambhse de min jilox uiox, etc[2].

  1. Odyss., chap. XLIII, v. 27 et suiv. (N.d.A.)
  2. Genèse, chap. XVI, v. 178 et suiv.(N.d.A.)