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Dans la Bible il est presque toujours inattendu ; il fond sur vous comme l’éclair ; vous restez fumant et sillonné par la foudre avant de savoir comment elle vous a frappé.

Dans Homère, le sublime se compose encore de la magnificence des mots en harmonie avec la majesté de la pensée.

Dans la Bible, au contraire, le plus haut sublime provient souvent d’un contraste entre la grandeur de l’idée et la petitesse, quelquefois même la trivialité du mot qui sert à la rendre. Il en résulte un ébranlement, un froissement incroyable pour l’âme : car lorsque, exalté par la pensée, l’esprit s’élance dans les plus hautes régions, soudain l’expression, au lieu de le soutenir, le laisse tomber du ciel en terre et le précipite du sein de Dieu dans le limon de cet univers. Cette sorte de sublime, le plus impétueux de tous, convient singulièrement à un Etre immense et formidable qui touche à la fois aux plus grandes et aux plus petites choses.


Chapitre IV - Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples

Quelques exemples achèveront maintenant le développement de ce parallèle. Nous prendrons l’ordre inverse de nos premières bases, c’est-à-dire que nous commencerons par les lieux d’oraison dont on peut citer des traits courts et détachés (tels que le sublime et les comparaisons, pour finir par la simplicité et l’antiquité des mœurs. Il y a un endroit remarquable par le sublime dans l’Iliade : c’est celui où Achille, après la mort de Patrocle, paraît désarmé sur le retranchement des Grecs, et épouvante les bataillons troyens par ses cris[1]. Le nuage d’or qui ceint le front du fils de Pélée, la flamme qui s’élève sur sa tête, la comparaison de cette flamme à un feu placé la nuit au haut d’une tour assiégée, les trois cris d’Achille, qui trois fois jettent la confusion dans l’armée troyenne, tout cela forme ce sublime homérique, qui, comme nous l’avons dit, se compose de la réunion de plusieurs beaux accidents et de la magnificence des mots.

Voici un sublime bien différent, c’est le mouvement de l’ode dans son plus haut délire :

" Prophétie contre la vallée de Vision.

" D’où vient que tu montes ainsi en foule sur les toits,

  1. Iliad., liv. XVIII, v. 240. (N.d.A.)