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encore aujourd’hui dans l’enfantement douloureux de la femme, dans la misère et l’orgueil de l’homme, dans les flots de sang qui inondent le globe depuis le fratricide de Caïn, dans les races maudites descendues de Cham, qui habitent une des plus belles parties de la terre[1] ; enfin, quand on voit le fils promis à David venir à point nommé rétablir la vraie morale et la vraie religion, réunir les peuples, substituer le sacrifice de l’homme intérieur aux holocaustes sanglants, alors on manque de paroles, ou, l’on est prêt à s’écrier avec le prophète : " Dieu est notre roi avant tous les temps. " Deus autem rex noster ante saecula.

C’est dans Job que le style historique de la Bible prend, comme nous l’avons dit, le ton de l’élégie. Aucun écrivain n’a poussé la tristesse de l’âme au degré où elle a été portée par le saint Arabe, pas même Jérémie, qui peut seul égaler les lamentations aux douleurs, comme parle Bossuet. Il est vrai que les images empruntées de la nature du Midi, les sables brûlants du désert, le palmier solitaire, la montagne stérile, conviennent singulièrement au langage et au sentiment d’un cœur malheureux ; mais il y a dans la mélancolie de Job quelque chose de surnaturel. L’homme individuel, si misérable qu’il soit, ne peut tirer de tels soupirs de son âme. Job est la figure de l’humanité souffrante, et l’écrivain inspiré a trouvé assez de plaintes pour la multitude des maux partagés entre la race humaine. De plus, comme dans l’Ecriture tout a un rapport final avec la Nouvelle alliance, on pourrait croire que les élégies de Job se préparaient aussi pour les jours de deuil de l’Église de Jésus-Christ : Dieu faisait composer par ses prophètes des cantiques funèbres dignes des morts chrétiens, deux mille ans avant que ces morts sacrés eussent conquis la vie éternelle.

" Puisse périr le jour où je suis né, et la nuit en laquelle il a été dit : Un homme a été conçu[2] ! "

Etrange manière de gémir ! Il n’y a que l’Ecriture qui ait jamais parlé ainsi.

" Je dormirais dans le silence, et je reposerais dans mon sommeil[3]. "

Cette expression, je reposerais dans mon sommeil, est une chose frappante ; mettez le sommeil, tout disparaît. Bossuet a dit : Dormez

  1. Les Nègres. (N.d.A.)
  2. Job, chap. III, v. 3. Nous nous servons de la traduction de Sacy, à cause des personnes qui y sont accoutumées ; cependant nous nous en éloignerons quelquefois lorsque l’hébreu, les septante et la Vulgate nous donneront un sens plus fort et plus beau.(N.d.A.)
  3. Job, v 13.(N.d.A.)