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On est merveilleusement étonné d’un bout de la Bible à l’autre. Qu’y a-t-il de comparable à l’ouverture de la Genèse ? Cette simplicité de langage, en raison inverse de la magnificence des faits, nous semble le dernier effort du génie.

In principio creavit Deus coelum et terram.

Terra autem erat inanis et vacua, et tenebrae erant super faciem abyssi et spiritus Dei ferebatur super aquas.

Dixitque Deus : Fiat lux. Et facta est lux. Et vidit Deus lucem quod esset bona ; et divisit lucem a tenebris.

On ne montre pas comment un pareil style est beau ; et si quelqu’un le critiquait, on ne saurait que répondre. Nous nous contenterons d’observer que Dieu qui voit la lumière, et qui, comme un homme content de son ouvrage, s’applaudit lui-même et la trouve bonne, est un de ces traits qui ne sont point dans l’ordre des choses humaines, cela ne tombe point naturellement dans l’esprit. Homère et Platon, qui parlent des dieux avec tant de sublimité, n’ont rien de semblable à cette naïveté imposante : c’est Dieu qui s’abaisse au langage des hommes pour leur faire comprendre ses merveilles, mais c’est toujours Dieu.

Quand on songe que Moïse est le plus ancien historien du monde quand on remarque qu’il n’a mêlé aucune fable à ses récits ; quand on le considère comme le libérateur d’un grand peuple, comme l’auteur d’une des plus belles législations connues et comme l’écrivain le plus sublime qui ait jamais existé ; lorsqu’on le voit flotter dans son berceau sur le Nil, se cacher ensuite dans les déserts pendant plusieurs années, puis revenir pour entrouvrir la mer, faire couler les sources du rocher, s’entretenir avec Dieu dans la nue, et disparaître enfin sur le sommet d’une montagne, on entre dans un grand étonnement. Mais lorsque, sous les rapports chrétiens, on vient à penser que l’histoire des Israélites est non seulement l’histoire réelle des anciens jours, mais encore la figure des temps modernes ; que chaque fait est double et contient en lui-même une vérité historique et un mystère ; que le peuple juif est un abrégé symbolique de la race humaine, représentant dans ses aventures tout ce qui est arrivé et tout ce qui doit arriver dans l’univers ; que Jérusalem doit être toujours prise pour une autre cité, Sion pour une autre montagne, la Terre Promise pour une autre terre, et la vocation d’Abraham pour une autre vocation ; lorsqu’on fait réflexion que l’homme moral est aussi caché sous l’homme physique dans cette histoire ; que la chute d’Adam, le sang d’Abel, la nudité voilée de Noé, et la malédiction de ce père sur un fils, se manifestent