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comme une pyramide de feu l’atmosphère ténébreuse… Enfin l’influence sacrée de la lumière commence à se faire sentir. Parti des murailles du ciel, un rayon pousse au loin dans le sein des ombres une douteuse et tremblante aurore ; ici la Nature commence, et le Chaos se retire. Guidé par ces mobiles blancheurs, Satan, comme un vaisseau longtemps battu de la tempête, reconnaît le port avec joie, et glisse plus doucement sur les vagues calmées. A mesure qu’il avance vers le jour, l’empyrée, avec ses tours d’opale et ses portes de vivants saphirs, se découvre à sa vue.

" Enfin il aperçoit au loin une haute structure, dont les marches magnifiques s’élèvent jusqu’aux remparts du ciel… Perpendiculairement au pied des degrés mystiques s’ouvre un passage vers la terre… Satan s’élance sur la dernière marche, et, plongeant tout à coup ses regards dans les profondeurs au-dessous de lui, il découvre avec un immense étonnement tout l’univers à la fois. "

Pour tout homme impartial, une religion qui a fourni un tel merveilleux et qui de plus a donné l’idée des amours d’Adam et d’Eve, n’est pas une religion anti-poétique. Qu’est-ce que Junon allant aux bornes de la terre en Ethiopie, auprès de Satan remontant du fond du chaos jusqu’aux frontières de la nature ? Il y a même dans l’original un effet singulier que nous n’avons pu rendre, et qui tient pour ainsi dire au défaut général du morceau : les longueurs que nous avons retranchées semblent allonger la course du prince des ténèbres et donner au lecteur un sentiment vague de cet infini au travers duquel il a passé.


Chapitre XIII - L’Enfer chrétien

Entre plusieurs différences qui distinguent l’enfer chrétien du Tartare, une surtout est remarquable : ce sont les tourments qu’éprouvent eux-mêmes les démons. Pluton, les Juges, les Parques et les Furies ne souffraient point avec les coupables. Les douleurs de nos puissances infernales sont donc un moyen de plus pour l’imagination, et conséquemment un avantage poétique de notre enfer sur l’enfer des anciens.

Dans les champs Cimmériens de l’Odyssée, le vague des lieux, les ténèbres, l’incohérence des objets, la fosse où les ombres viennent boire le sang, donnent au tableau quelque chose de formidable, et qui peut-être ressemble plus à l’enfer chrétien que le Ténare de Virgile. Dans celui-ci l’on remarque les progrès des dogmes philosophiques de la