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plus magnifique que la chute d’une seule reine, si Joas, en rallumant le flambeau de David, ne nous montrait dans le lointain le Messie et la révolution de toute la terre.

La même perfection se remarque dans les vers des deux poètes : toutefois, la poésie de Racine nous semble plus belle. Tel Hector paraît au premier moment devant Enée, tel il se montre à la fin ; mais la pompe, mais l’éclat emprunté de Jézabel,

Pour réparer des ans l’irréparable outrage,

suivi tout à coup non d’une forme entière, mais

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .De lambeaux affreux

Que des chiens dévorants se disputaient entre eux,

est une sorte de changement d’état, de péripétie, qui donne au songe de Racine une beauté qui manque à celui de Virgile. Enfin, cette ombre d’une more qui se baisse vers le lit de sa fille, comme pour s’y cacher, et qui se transforme tout à coup en os et en chairs meurtris, est une de ces beautés vagues, de ces circonstances effrayantes de la vraie nature du fantôme.


Chapitre XII - Suite des machines poétiques. Voyages des dieux homériques ; Satan allant à la découverte de la création

Nous touchons à la dernière des machines poétiques, c’est-à-dire aux voyages des êtres surnaturels. C’est une des parties du merveilleux dans laquelle Homère s’est montré le plus sublime. Tantôt il raconte que le char du dieu vole comme la pensée d’un voyageur qui se rappelle, en un instant, les lieux qu’il a parcourus ; tantôt il dit :

Autant qu’un homme assis au rivage des mers

Voit, d’un roc élevé, d’espace dans les airs,

Autant des Immortels les coursiers intrépides

En franchissent d’un saut[1].

Quoi qu’il en soit du génie d’Homère et de la majesté de ses dieux, son merveilleux et sa grandeur vont encore s’éclipser devant le merveilleux du christianisme.

  1. Boileau, dans Longin, chap.VII. (N.d.A.)