Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/245

Cette page n’a pas encore été corrigée

Chapitre X - Machines poétiques. — Vénus dans les bois de Carthage. — Raphaël au berceau d’Eden

Venons aux exemples des machines poétiques. Vénus se montrant à Enée dans les bois de Carthage est un morceau achevé dans le genre gracieux Cui mater media, etc. " A travers la forêt, sa mère, suivant le même sentier, s’avance au-devant de lui. Elle avait l’air et le visage d’une vierge, et elle était armée à la manière des filles de Sparte, etc. "

Cette poésie est délicieuse ; mais le chantre d’Eden en a beaucoup approché lorsqu’il a peint l’arrivée de l’ange Raphaël au bocage de nos premiers pères :

" Pour ombrager ses formes divines, le Séraphin porte six ailes. Deux attachées à ses épaules sont ramenées sur son sein, comme les pans d’un manteau royal ; celles du milieu se roulent autour de lui comme une écharpe étoilée… les deux dernières, teintes d’azur, battent à ses talons rapides. Il secoue ses plumes qui répandent des odeurs célestes.

" Il s’avance dans le jardin du bonheur, au travers des bocages de myrtes et des nuages de nard et d’encens ; solitudes de parfums où la nature dans sa jeunesse se livre à tous ses caprices… Adam, assis à la porte de son berceau, aperçut le divin messager. Aussitôt il s’écrie : Eve, accours ! viens voir ce qui est digne de ton admiration ! Regarde vers l’orient, parmi ces arbres. Aperçois-tu cette forme glorieuse qui semble se diriger vers notre berceau ? On la prendrait pour une autre aurore, qui se lève au milieu du jour… "

Ici Milton, presque aussi gracieux que Virgile, l’emporte sur lui par la sainteté et la grandeur. Raphaël est plus beau que Vénus, Eden plus enchanté que les bois de Carthage, et Enée est un froid et triste personnage auprès du majestueux Adam.

Voici un ange mystique de Klopstock :

. . . . . . .Dann eilet der thronen[1].

" Soudain le premier-né des trônes descend vers Gabriel, pour le conduire vers le Très Haut. L’Eternel le nomme Elu, et le ciel Eloa. Plus parfait que tous les êtres créés, il occupe la première place près de l’Etre infini. Une de ses pensées est belle comme l’âme entière de l’homme, lorsque, digne

  1. Messias Erst., Ges., v. 286, etc. (N.d.A.)