Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/238

Cette page n’a pas encore été corrigée

puissances infernales, c’est l’attribution d’un caractère. Nous verrons incessamment quel usage Milton a fait du caractère d’orgueil donné par le christianisme au prince des ténèbres. Le poète, pouvant en outre attacher un ange du mal à chaque vice, dispose ainsi d’un essaim de divinités infernales. Il a même alors la véritable allégorie sans avoir la sécheresse qui l’accompagne, ces esprits pervers étant en effet des êtres réels et tels que la religion nous permet de les croire.

Mais si les démons se multiplient autant que les crimes des hommes ils peuvent aussi présider aux accidents terribles de la nature ; tout ce qu’il y a de coupable et d’irrégulier dans le monde moral et dans le monde physique est également de leur ressort. Il faudra seulement prendre garde, en les mêlant aux tremblements de terre, aux volcans ou aux ombres d’une forêt, de donner à ces scènes un caractère majestueux. Il faut qu’avec un goût exquis le poète sache faire distinguer le tonnerre du Très Haut du vain bruit que fait éclater un esprit perfide ; que le foudre ne s’allume que dans la main de Dieu, qu’il ne brille jamais dans une tempête excitée par l’enfer ; que celle-ci soit toujours sombre et sinistre ; que les nuages n’en soient point rougis par la colère et poussés par le vent de la justice, mais que leurs teintes soient blafardes et livides, comme celles du désespoir, et qu’ils ne se meuvent qu’au souffle impur de la haine. On doit sentir dans ces orages une puissance forte seulement pour détruire ; on y doit trouver cette incohérence, ce désordre, cette sorte d’énergie du mal, qui a quelque chose de disproportionné et de gigantesque, comme le chaos dont elle tire son origine.


Chapitre VII - Des Saints

Il est certain que les poètes n’ont pas su tirer du merveilleux chrétien tout ce qu’il peut fournir aux muses. On se moque des saints et des anges ; mais les anciens eux-mêmes n’avaient-ils pas leurs demi-dieux ? Pythagore, Platon, Socrate recommandent le culte de ces hommes qu’ils appellent des héros. Honore les héros pleins de bonté et de lumière, dit le premier dans ses vers dorés. Et pour qu’on ne se méprenne pas à ce nom de héros, Hiéroclès l’interprète exactement comme le christianisme explique le nom de saint. " Ces héros pleins de bonté et de lumière pensent toujours à leur Créateur, et sont tout éclatants de la lumière qui rejaillit de la félicité dont ils jouissent en lui. " - Et plus loin, " héros vient d’un mot grec qui signifie