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dévoilées dans leurs sources ; les fondements de la terre ont paru à découvert, parce que vous les avez menacés, Seigneur, et qu’ils ont senti le souffle de votre colère. "

" Avouons-le, dit La Harpe, dont nous empruntons la traduction, il y a aussi loin de ce sublime à tout autre sublime, que de l’esprit de Dieu à l’esprit de l’homme. On voit ici la conception du grand dans son principe : le reste n’en est qu’une ombre, comme l’intelligence créée n’est qu’une faible émanation de l’intelligence créatrice ; comme la fiction, quand elle est belle, n’est encore que l’ombre de la vérité, et tire tout son mérite d’un fond de ressemblance. "


Chapitre VI - Des Esprits de ténèbres

Les dieux du polythéisme, à peu près égaux en puissance, partageaient les mêmes haines et les mêmes amours. S’ils se trouvaient quelquefois opposés les uns aux autres, c’était seulement dans les querelles des mortels : ils se réconciliaient bientôt en buvant le nectar ensemble.

Le christianisme, au contraire, en nous instruisant de la vraie constitution des êtres surnaturels, nous a montré l’empire de la vertu éternellement séparé de celui du vice. Il nous a révélé des esprits de ténèbres machinant sans cesse la perte du genre humain, et des esprits de lumière uniquement occupés des moyens de le sauver. De là un combat éternel, dont l’imagination peut tirer une foule de beautés.

Ce merveilleux, d’un fort grand caractère, en fournit ensuite un second, d’une moindre espèce, à savoir : la magie. Celle-ci a été connue des anciens[1], mais sous notre culte elle a acquis comme machine poétique plus d’importance et d’étendue. Toutefois, on doit en user sobrement, parce qu’elle n’est pas d’un goût assez pur ; elle manque surtout de grandeur, car en empruntant quelque chose de son pouvoir aux hommes, ceux-ci lui communiquent leur petitesse.

Un autre trait distinctif de nos êtres surnaturels, surtout chez les

  1. La magie des anciens différait en ceci de la nôtre, qu’elle s’opérait par les seules vertus des plantes et des philtres, tandis que parmi nous elle découle d’une puissance surnaturelle, quelquefois bonne, mais presque toujours méchante. On sent qu’il n’est pas question ici de la partie historique et philosophique de la magie considérée comme l’art des mages. (N.d.A.)