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aussi grand effet que les dieux ennemis de Troie assiégeant le palais de Priam ; enfin, il n’est rien de plus sublime dans Homère que le combat d’Emmanuel contre les mauvais anges dans Milton, quand, les précipitant au fond de l’abîme, le Fils de l’Homme retient à moitié sa foudre, de peur de les anéantir.


Chapitre V - Caractère du vrai Dieu

C’est une chose merveilleuse que le Dieu de Jacob soit aussi le Dieu de l’Evangile ; que le Dieu qui lance la foudre soit encore le Dieu de paix et d’innocence.

Il donne aux fleurs leur aimable peinture :

Il fait naître et mûrir les fruits,

Et leur dispense avec mesure

Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits.

Nous croyons n’avoir pas besoin de preuves pour montrer combien le Dieu des chrétiens est poétiquement supérieur au Jupiter antique. A la voix du premier les fleuves rebroussent leur cours, le ciel se roule comme un livre, les mers s’entrouvrent, les murs des cités se renversent, les morts ressuscitent, les plaies descendent sur les nations. En lui le sublime existe de soi-même, et il épargne le soin de le chercher. Le Jupiter d’Homère, ébranlant le ciel d’un signe de ses sourcils, est sans doute fort majestueux ; mais Jéhovah descend dans le chaos, et lorsqu’il prononce le fiat lux, le fabuleux fils de Saturne s’abîme et rentre dans le néant.

Si Jupiter veut donner aux autres dieux une idée de sa puissance, il les menace de les enlever au bout d’une chaîne : il ne faut à Jéhovah ni chaîne ni essai de cette nature.

Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours ?

Que peuvent contre lui tous les rois de la terre ?

En vain ils s’uniraient pour lui faire la guerre :

Pour dissiper leur ligue, il n’a qu’à se montrer ;

Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer,

Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble

Il voit comme un néant tout l’univers ensemble,

Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,

Sont tous devant ses yeux comme s’ils n’étaient pas[1].

  1. Racine, Esther.(N.d.A.)