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démons ; objet infortuné d’une guerre qui ne doit finir qu’avec le monde.

Ces ressorts sont grands, et le poète n’a pas lieu de se plaindre. Quant aux actions des intelligences chrétiennes, il ne nous sera pas difficile de prouver bientôt qu’elles sont plus vastes et plus fortes que celles des dieux mythologiques. Le Dieu qui régit les mondes, qui crée l’univers et la lumière, qui embrasse et comprend tous les temps, qui lit dans les plus secrets replis du cœur humain, ce Dieu peut-il être comparé à un dieu qui se promène sur un char, qui habite un palais d’or sur une montagne, et qui ne prévoit pas même clairement l’avenir ? Il n’y a pas jusqu’au faible avantage de la différence des sexes et de la forme visible que nos divinités ne partagent avec celles de la Grèce, puisque nous avons des saintes et des vierges, et que les anges de l’Ecriture empruntent souvent la figure humaine.

Mais comment préférer une sainte, dont l’histoire blesse quelquefois l’élégance et le goût, à une naïade attachée aux sources d’un ruisseau ? Il faut séparer la vie terrestre de la vie céleste de cette sainte : sur la terre, elle ne fut qu’une femme ; sa divinité ne commence qu’avec son bonheur dans les régions de la lumière éternelle. D’ailleurs il faut toujours se souvenir que la naïade détruisait la poésie descriptive ; qu’un ruisseau représenté dans son cours naturel est plus agréable que dans sa peinture allégorique, et que nous gagnons d’un côté ce que nous semblons perdre de l’autre.

Quant aux combats, ce qu’on a dit contre les anges de Milton peut se rétorquer contre les dieux d’Homère : de l’une et de l’autre part ce sont des divinités pour lesquelles on ne peut craindre, puisqu’elles ne peuvent mourir. Mars renversé, et couvrant de son corps neuf arpents, Diane donnant des soufflets à Vénus sont aussi ridicules qu’un ange coupé en deux et qui se renoue comme un serpent. Les puissances surnaturelles peuvent encore présider aux combats de l’épopée ; mais il nous semble qu’elles ne doivent plus en venir aux mains, hors dans certains cas, qu’il n’appartient qu’au goût de déterminer : c’est ce que la raison supérieure de Virgile avait déjà senti il y a plus de dix-huit cents ans.

Au reste, il n’est pas tout à fait vrai que les divinités chrétiennes soient ridicules dans les batailles. Satan s’apprêtant à combattre Michel dans le paradis terrestre est superbe ; le Dieu des armées marchant dans une nuée obscure à la tête des légions fidèles n’est pas une petite image ; le glaive exterminateur se dévoilant tout à coup aux yeux de l’impie frappe d’étonnement et de terreur ; les saintes milices du ciel sapant les fondements de Jérusalem font presque un