Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment contre le christianisme, les Origène, les Clarke, les Bossuet, ont répondu. Pressé par ces redoutables adversaires, on cherchait à leur échapper, en reprochant au christianisme ces mêmes disputes métaphysiques dans lesquelles on voudroit nous entraîner. On disoit, comme Arius, Celse et Porphyre, que notre religion est un tissu de subtilités qui n’offrent rien à l’imagination ni au cœur, et qui n’ont pour sectaires que des fous et des imbéciles[1]. Se présente-t-il quelqu’un qui, répondant à ces derniers reproches, cherche à démontrer que le culte évangélique est celui du poëte, de l’âme tendre, on ne manquera pas de s’écrier : Eh ! qu’est-ce que tout cela prouve, sinon que vous savez plus ou moins bien faire un tableau ? Ainsi, voulez-vous peindre et toucher, on vous demande des axiomes et des corollaires. Prétendez-vous raisonner, il ne faut plus que des sentiments et des images. Il est difficile de joindre des ennemis aussi légers, et qui ne sont jamais au poste où ils vous défient. Nous hasarderons quelques mots sur la Rédemption, pour montrer que la théorie du christianisme n’est pas aussi absurde qu’on affecte de le penser.

Une tradition universelle nous apprend que l’homme a été créé dans un état plus parfait que celui où il existe à présent, et qu’il y a eu une chute. Cette tradition se fortifie de l’opinion des philosophes de tous temps et de tous pays, qui n’ont jamais pu se rendre compte de l’homme moral sans supposer un état primitif de perfection d’où la nature humaine est ensuite déchue par sa faute[2].

Si l’homme a été créé, il a été créé pour une fin quelconque : or, étant créé parfait, la fin à laquelle il étoit appelé ne pouvait être que parfaite.

Mais la cause finale de l’homme a-t-elle été altérée par sa chute ? Non, puisque l’homme n’a pas été créé de nouveau ; non, puisque la race humaine n’a pas été anéantie, pour faire place à une autre race.

Ainsi l’homme, devenu mortel et imparfait par sa désobéissance, est resté toutefois avec ses fins immortelles et parfaites. Comment parviendra-t-il à ses fins dans son état actuel d’imperfection ? Il ne le peut plus par sa propre énergie, par la même raison qu’un homme malade ne peut s’élever à la hauteur des pensées à laquelle un homme sain peut atteindre. Il y a donc disproportion entre la force et le poids

  1. Orig., C. Cel. l. iii, p. 144. Arius appelle les chrétiens ὦ δεολοί. Arr. Antonin. ap. Tertul. at scap., cap. IV, lib. in Joh. Malala Chronic. Porphyre donne à la religion l’épithète de βάρϐαρον τολμημα. Porph. ap. Eus., Hist. eccl., VI, c. IX.
  2. Vid. Plat. Arist., Sén., les SS. PP., Pascal, Grot., Arn.,etc.