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Pauline.

Où le conduisez-vous ?

Félix.

A la mort.

Polyeucte.

A la gloire[1] !

Ce mot, je suis chrétien, deux fois répété, égale les plus beaux mots des Horaces. Corneille, qui se connaissait si bien en sublime, a senti que l’amour pour la religion pouvait s’élever au dernier degré d’enthousiasme, puisque le chrétien aime Dieu comme sa souveraine beauté et le ciel comme sa patrie.

Qu’on essaye maintenant de donner à un idolâtre quelque chose de l’ardeur de Polyeucte. Sera-ce pour une déesse impudique qu’il se passionnera, ou pour un dieu abominable qu’il courra à la mort ? Les religions qui peuvent échauffer les âmes sont celles qui se rapprochent plus ou moins du dogme de l’unité d’un Dieu ; autrement, le cœur et l’esprit partagés entre une multitude de divinités ne peuvent aimer fortement ni les unes ni les autres. Il ne peut, en outre, y avoir d’amour durable que pour la vertu. La passion dominante de l’homme sera toujours la vérité ; quand il aime l’erreur, c’est que cette erreur, au moment qu’il y croit, est pour lui comme une chose vraie. Nous ne chérissons pas le mensonge, bien que nous y tombions sans cesse ; cette faiblesse ne nous vient que de notre dégradation originelle : nous avons perdu la puissance en conservant le désir, et notre cœur cherche encore la lumière que nos yeux n’ont plus la force de supporter.

La religion chrétienne, en nous rouvrant, par les mérites du Fils de l’homme, les routes éclatantes que la mort avait couvertes de ses ombres, nous a rappelés à nos primitives amours. Héritier des bénédictions de Jacob, le chrétien brûle d’entrer dans cette Sion céleste vers qui monte ses soupirs. Et c’est cette passion que nos poètes peuvent chanter, à l’exemple de Corneille ; source de beautés que les anciens temps n’ont point connue et que n’auraient pas négligée les Sophocle et les Euripide.

  1. Acte V, scène III. (N.d.A.)