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Quiconque, selon l’expression des Pères, n’eut avec son corps que le moins de commerce possible et descendit vierge au tombeau, celui-là, délivré de ses craintes et de ses doutes, s’envole au lieu de vie, où il contemple à jamais ce qui est vrai, toujours le même et au-dessus de l’opinion. Que de martyrs cette espérance de posséder Dieu n’a-t-elle point faits ! Quelle solitude n’a point entendu les soupirs de ces rivaux qui se disputaient entre eux l’objet des adorations des séraphins et des anges ! Ici c’est un Antoine qui élève un autel au désert, et qui pendant quarante ans s’immole inconnu des hommes ; là c’est un saint Jérôme qui quitte Rome, traverse les mers, et va, comme Elie, chercher une retraite au bord du Jourdain. L’enfer ne l’y laisse pas tranquille, et la figure de Rome, avec tous ses charmes, lui apparaît pour le tourmenter. Il soutient des assauts terribles, il combat corps à corps avec ses passions. Ses armes sont les pleurs, les jeûnes, l’étude, la pénitence et surtout l’amour. Il se précipite aux pieds de la beauté divine, il lui demande de le secourir. Quelquefois, comme un forçat, il charge ses épaules d’un lourd fardeau, pour dompter une chair révoltée et éteindre dans les sueurs les infidèles désirs qui s’adressent à la créature.

Massillon, peignant cet amour, s’écrie : " Le Seigneur tout seul[1] lui paraît bon, véritable, fidèle, constant dans ses promesses, aimable dans ses ménagements, magnifique dans ses dons, réel dans sa tendresse, indulgent même dans sa colère, seul assez grand pour remplir toute l’immensité de notre cœur, seul assez puissant pour en satisfaire tous les désirs, seul assez généreux pour en adoucir toutes les peines, seul immortel, et qu’on aimera toujours ; enfin le seul qu’on ne se repent jamais que d’avoir aimé trop tard. "

L’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ a recueilli chez saint Augustin et dans les autres Pères ce que le langage de l’amour divin a de plus mystique et de plus brûlant[2].

" Certes, l’amour est une grande chose, l’amour est un bien admirable, puisque lui seul rend léger ce qui est pesant, et qu’il souffre avec une égale tranquillité les divers accidents de cette vie : il porte sans peine ce qui est pénible, et il rend doux et agréable ce qui est amer.

" L’amour de Dieu est généreux, il pousse les âmes à de grandes actions, et les excite à désirer ce qu’il y a de plus parfait.

" L’amour tend toujours en haut, et il ne souffre point d’être retenu par les choses basses.

  1. Le jeudi de la Passion, la Pécheresse, première partie.(N.d.A.)
  2. Imitation de Jésus-Christ, liv. III, chap. V.(N.d.A.)