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encore à ces vers un ton de simplicité qu’on ne peut faire passer dans notre langue. Par le jeu d’une multitude d’A et d’une prononciation large et ouverte, on croirait sentir le calme des tableaux de la nature et entendre le parler naïf d’un pasteur [NOTE 50].

Observez ensuite le naturel des plaintes du Cyclope. Polyphème parle du cœur, et l’on ne se doute pas un moment que ses soupirs ne sont que l’imitation d’un poète. Avec quelle naïveté passionnée le malheureux amant ne fait-il point la peinture de sa propre laideur ? Il n’y a pas jusqu’à cet œil effroyable dont Théocrite n’ait su tirer un trait touchant : tant est vraie la remarque d’Aristote, si bien rendue par ce Despréaux, qui eut du génie à force d’avoir de la raison :

D’un pinceau délicat l’artifice agréable

Du plus affreux objet fait un objet aimable.

On sait que les modernes, et surtout les Français, ont peu réussi dans le genre pastoral[1]. Cependant Bernardin de Saint-Pierre nous semble avoir surpassé les bucoliastes de l’Italie et de la Grèce. Son

  1. La révolution nous a enlevé un homme qui promettait un rare talent dans l’églogue : c’était M. André Chénier. Nous avons vu de lui un recueil d’idylles manuscrites où l’on trouve des choses dignes de Théocrite. Cela explique le mot de cet infortuné jeune homme sur l’échafaud ; il disait en se frappant le front : Mourir ! j’avais quelque chose là ! C’était la muse qui lui révélait son talent au moment de la mort.(N.d.A.)