Le Cyclope, assis sur un rocher, aux bords des mers de Sicile, chante ainsi ses déplaisirs, en promenant ses yeux sur les flots :
W leuca Galateia, etc[1]. . . . . . . .
Charmante Galatée, pourquoi repousser les soins d’un amant, toi dont le visage est blanc comme le lait pressé dans mes corbeilles de jonc ; toi qui es plus tendre que l’agneau, plus voluptueuse que la génisse, plus fraîche que la grappe non encore amollie par les feux du jours. Tu te glisses sur ces rivages lorsque le doux sommeil m’enchaîne ; tu fuis lorsque le doux sommeil me fuit ; tu me redoutes comme l’agneau craint le loup blanchi par les ans. Je n’ai cessé de t’adorer depuis le jour que tu vins avec ma mère ravir les jeunes hyacinthes à la montagne : c’était moi qui te traçais le chemin. Depuis ce moment, après ce moment, et encore aujourd’hui, vivre sans toi m’est impossible. Et cependant te soucies-tu de ma peine ? au nom de Jupiter te soucies-tu de ma peine ?… Mais tout hideux que je suis, j’ai pourtant mille brebis dont ma main presse les riches mamelles et dont je bois le lait écumant. L’été, l’automne et l’hiver trouvent toujours des fromages dans ma grotte ; mes réseaux en sont toujours pleins. Nul Cyclope ne pourrait aussi bien que moi te chanter sur la flûte, ô vierge nouvelle ! Nul ne saurait avec autant d’art, la nuit, durant les orages, célébrer tous tes attraits.
Pour toi je nourris onze biches, qui sont prêtes à donner leurs faons. J’élève aussi quatre oursins, enlevés à leurs mères sauvages : viens, tu posséderas ces richesses. Laisse la mer se briser follement sur ses grèves ; tes nuits seront plus heureuses si tu les passes à mes côtés dans mon antre. Des lauriers et des cyprès allongés y murmurent ; le lierre noir et la vigne chargée de grappes en tapissent l’enfoncement obscur ; tout auprès coule une onde fraîche, source que l’Etna blanchi verse de ses sommets de neiges et de ses flancs couverts de brunes forêts. Quoi ! préférerais-tu encore les mers et leurs mille vagues ? Si ma poitrine hérissée blesse ta vue, j’ai du bois de chêne et des restes de feux épandus sous la cendre ; brûle même (tout me sera doux de ta main), brûle, si tu le veux, mon œil unique, cet œil qui m’est plus cher que la vie. Hélas ! que ma mère ne m’a-t-elle donné, comme au poisson, des rames légères pour fendre les ondes ! Oh ! comme je descendrais vers ma Galatée ! comme je baiserais sa main, si elle me refusait ses lèvres ! Oui, je te porterais ou des lis blancs, ou de tendres pavots à feuilles de pourpre ; les premiers croissent en été, et les autres fleurissent en hiver : ainsi je ne pourrais te les offrir en même temps…
C’était de la sorte que Polyphème appliquait sur la blessure de son cœur le dictame immortel des Muses, soulageant ainsi plus doucement sa vie que par tout ce qui s’achète au poids de l’or.
Cette idylle respire la passion. Le poète ne pouvait faire un choix de mots plus délicats ni plus harmonieux. Le dialecte dorique ajoute
- ↑ Theocr., idyll. XI, v.19 et seq.(N.d.A.)