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Il y a là-dedans un mélange des sens et de l’âme, de désespoir et de fureur amoureuse, qui passe toute expression. Cette femme, qui se consolerait d’une éternité de souffrance si elle avait joui d’un instant de bonheur, cette femme n’est pas dans le caractère antique : c’est la chrétienne réprouvée, c’est la pécheresse tombée vivante dans les mains de Dieu ; son mot est le mot du damné.


Chapitre IV - Julie d’Etange ; Clémentine

Nous changeons de couleurs : l’amour passionné, terrible dans la Phèdre chrétienne, ne fait plus entendre chez la dévote Julie que de mélodieux soupirs : c’est une voix troublée qui sort du sanctuaire de paix, un cri d’amour que prolonge, en l’adoucissant, l’écho religieux des tabernacles.

Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité ; et tel est le néant des choses humaines, que hors l’Etre existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas. (…) Une langueur secrète s’insinue au fond de mon cœur ; je le sens vide et gonflé, comme vous disiez autrefois du vôtre ; l’attachement que j’ai pour ce qui m’est cher ne suffit pas pour l’occuper : il lui reste une force inutile dont il ne sait que faire. Cette peine est bizarre, j’en conviens, mais elle n’est pas moins réelle. Mon ami, je suis trop heureuse, le bonheur m’ennuie. (…) Ne trouvant donc rien ici-bas qui lui suffise, mon âme avide cherche ailleurs de quoi la remplir ; en s’élevant à la source du sentiment et de l’être, elle y perd sa sécheresse et sa langueur : elle y renaît, elle s’y ranime, elle y trouve un nouveau ressort, elle y puise une nouvelle vie ; elle y prend une autre existence, qui ne tient plus aux passions du corps, ou plutôt elle n’est plus en moi-même, elle est toute dans l’Etre immense qu’elle contemple ; et, dégagée un moment de ses entraves, elle se console d’y rentrer, par cet essai d’un état plus sublime qu’elle espère être un jour le sien. (…)

En songeant à tous les bienfaits de la Providence, j’ai honte d’être sensible à de si faibles chagrins et d’oublier de si grandes grâces. (…)

Quand la tristesse m’y suit malgré moi (dans son oratoire), quelques pleurs versés dans celui qui console soulagent mon cœur à l’instant. Mes réflexions ne sont jamais amères ni douloureuses, mon repentir même est exempt d’alarmes ; mes fautes me donnent moins d’effroi que de honte : j’ai des regrets et non des remords.