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Si elles n’étaient que de simples vertus morales imaginées par le poète, elles seraient sans mouvement et sans ressort. On en peut juger par Enée, dont Virgile a fait un héros philosophe.

Les vertus purement morales sont froides par essence : ce n’est pas quelque chose d’ajouté à l’âme, c’est quelque chose de retranché de la nature ; c’est l’absence du vice plutôt que la présence de la vertu.

Les vertus religieuses ont des ailes, elles sont passionnées. Non contentes de s’abstenir du mal, elles veulent faire le bien : elles ont l’activité de l’amour, et se tiennent dans une région supérieure et un peu exagérée. Telles étaient les vertus des chevaliers.

La foi ou la fidélité était leur première vertu ; la fidélité est pareillement la première vertu du christianisme.

Le chevalier ne mentait jamais. — Voilà le chrétien.

Le chevalier était pauvre et le plus désintéressé des hommes. — Voilà le disciple de l’Evangile.

Le chevalier s’en allait à travers le monde, secourant la veuve et l’orphelin. — Voilà la charité de Jésus-Christ.

Le chevalier était tendre et délicat. Qui lui aurait donné cette douceur, si ce n’était une religion humaine qui porte toujours au respect pour la faiblesse ? Avec quelle bénignité Jésus-Christ lui-même ne parle-t-il pas aux femmes dans l’Evangile !

Agamemnon déclare brutalement qu’il aime autant Briséis que son épouse, parce qu’elle fait d’aussi beaux ouvrages.

Un chevalier ne parle pas ainsi.

Enfin le christianisme à produit l’honneur ou la bravoure des héros modernes, si supérieure à celle des héros antiques.

La véritable religion nous enseigne que ce n’est pas par la force du corps que l’homme se doit mesurer, mais par la grandeur de l’âme. D’où il résulte que la plus faible des chevaliers ne tremble jamais devant un ennemi ; et, fût-il certain de recevoir la mort, il n’a pas même la pensée de la fuite.

Cette haute valeur est devenue si commune, que le moindre de nos fantassins est plus courageux que les Ajax, qui fuyaient devant Hector, qui fuyait à son tour devant Achille. Quant à la clémence du chevalier chrétien envers les vaincus, qui peut nier qu’elle découle du christianisme ?

Les poètes modernes ont tiré une foule de traits nouveaux du caractère chevaleresque. Dans la tragédie il suffit de nommer Bayard, Tancrède, Nemours, Couci ; Nérestan apporte la rançon de ses frères d’armes, et se vient rendre prisonnier parce qu’il ne peut satisfaire à la somme nécessaire pour se racheter lui-même. Les belles mœurs