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les sociétés formées dans la religion chrétienne. Il est étrange, et cependant rigoureusement vrai, que tandis que nos pères étaient des barbares pour tout le reste, la morale, au moyen de l’Evangile, s’était élevée chez eux à son dernier point de perfection : de sorte que l’on vit des hommes, si nous osons parler ainsi, à la fois sauvages par le corps et civilisés par l’âme.

C’est ce qui fait la beauté des temps chevaleresques, et ce qui leur donne la supériorité tant sur les siècles héroïques que sur les siècles tout à fait modernes.

Car si vous entreprenez de peindre les premiers âges de la Grèce, autant la simplicité des mœurs vous offrira des choses agréables, autant la barbarie des caractères vous choquera ; le polythéisme ne fournit rien pour changer la nature sauvage et l’insuffisance des vertus primitives.

Si au contraire vous chantez l’âge moderne, vous serez obligé de bannir la vérité de votre ouvrage et de vous jeter à la fois dans le beau idéal moral et dans le beau idéal physique. Trop loin de la nature et de la religion sous tous les rapports, on ne peut représenter fidèlement l’intérieur de nos ménages, et moins encore le fond de nos cœurs.

La chevalerie seule offre le beau mélange de la vérité et de la fiction.

D’une part, vous pouvez offrir le tableau des mœurs dans toute sa naïveté : un vieux château, un large foyer, des tournois, des joutes, des chasses, le son du cor, le bruit des armes, n’ont rien qui heurte le goût, rien qu’on doive ou choisir ou cacher.

Et, d’un autre côté, le poète chrétien, plus heureux qu’Homère, n’est point forcé de ternir sa peinture en y plaçant l’homme barbare ou l’homme naturel : le christianisme lui donne le parfait héros.

Ainsi, tandis que le Tasse est dans la nature relativement aux objets physiques, il est au-dessus de cette nature par rapport aux objets moraux.

Or, le vrai et l’idéal sont les deux sources de l’intérêt poétique : le touchant et le merveilleux.


Chapitre XII - Suite du Guerrier

Montrons à présent que ces vertus du chevalier, qui élèvent son caractère jusqu’au beau idéal, sont des vertus véritablement chrétiennes.