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Tout annonce le Dieu qu’ont vengé tes ancêtres.

Tourne les yeux : sa tombe est près de ce palais,

C’est ici la montagne où, lavant nos forfaits,

Il voulut expirer sous les coups de l’impie ;

C’est là que de sa tombe il rappela sa vie.

Tu ne saurais marcher dans cet auguste lieu,

Tu n’y peux faire un pas sans y trouver ton Dieu,

Et tu n’y peux rester sans renier ton père…

Une religion qui fournit de pareilles beautés à son ennemi mériterait pourtant d’être entendue avant d’être condamnée. L’antiquité ne présente rien de cet intérêt, parce qu’elle n’avait pas un pareil culte. Le polythéisme, ne s’opposant point aux passions, ne pouvait amener ces combats intérieurs de l’âme, si communs sous la loi évangélique, et d’où naissent les situations les plus touchantes. Le caractère pathétique du christianisme accroît encore puissamment le charme de la tragédie de Zaïre. Si Lusignan ne rappelait à sa fille que des dieux heureux, les banquets et les joies de l’Olympe, cela serait d’un faible intérêt pour elle, et ne formerait qu’un dur contresens avec les tendres émotions que le poète cherche à exciter. Mais les malheurs de Lusignan, mais son sang, mais ses souffrances se mêlent aux malheurs, au sang et aux souffrances de Jésus-Christ. Zaïre pourrait-elle renier son Rédempteur au lieu même où il s’est sacrifié pour elle ? La cause d’un père et celle d’un Dieu se confondent ; les vieux ans de Lusignan, les tourments des martyrs deviennent une partie même de l’autorité de la religion : la Montagne et le Tombeau crient ; ici tout est tragique, les lieux, l’homme et la Divinité.


Chapitre VI — La Mère. — Andromaque

Vox in Rama audita est, dit Jérémie[1], ploratus et ululatus multus ; Rachel plorans filios suos, et noluit consolari, quia non sunt. « Une voix a été entendue sur la montagne, avec des pleurs et beaucoup de gémissements:c’est Rachel pleurant ses fils, et elle n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus. » Comme ce quia non sunt est beau [NOTE 48] ! Une religion qui a consacré un pareil mot connaît bien le cœur maternel.

  1. Cap. XXXI, v. 15. (N.d.A.)