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brillante ; mais enfin la reine des nuits, se levant avec majesté à travers les nuages, répandit sa tendre lumière, et jeta son manteau d’argent sur le dos des ombres[1]. "

Adam et Eve se retirent au berceau nuptial, après avoir offert leur prière à l’Eternel. Ils pénètrent dans l’obscurité du bocage, et se couchent sur un lit de fleurs. Alors le poète, resté comme à la porte du berceau, entonne, à la face du firmament et du pôle chargé d’étoiles, un cantique à l’Hymen. Il commence ce magnifique épithalame sans préparation et par un mouvement inspiré, à la manière antique :

Hail, wedded love, mysterious law, true source

Of human offspring…

« Salut, amour conjugal, loi mystérieuse, source de la postérité ! » C’est ainsi que l’armée des Grecs chante tout à coup, après la mort d’Hector :


Ἠράμεθα μέγα κῦδος, ἐπέφνομεν Ἕκτορα δῖον, etc.


Nous avons remporté une gloire signalée ! nous avons tué le divin Hector ; c’est de même que les Saliens, célébrant la fête d’Hercule, s’écrient brusquement dans Virgile : Tu nubigenas, invicte, bimembres, etc. « C’est toi qui domptas les deux centaures, fils d’une nuée, etc. »

Cet hymen met le dernier trait au tableau de Milton, et achève la peinture des amours de nos premiers pères[2].

Nous ne craignons pas qu’on nous reproche la longueur de cette citation. « Dans tous les autres poèmes, dit Voltaire, l’amour est regardé comme une faiblesse ; dans Milton seul il est une vertu. Le poète a su lever d’une main chaste le voile qui couvre ailleurs les plaisirs de cette passion. Il transporte le lecteur dans le jardin des délices. Il semble lui faire goûter les voluptés pures dont Adam et Eve sont remplis. Ils ne s’élèvent pas au-dessus de la nature humaine, mais

  1. Ceux qui savent l’anglais sentiront combien la traduction de ce morceau est difficile. On nous pardonnera la hardiesse des tours dont nous nous sommes servi, en faveur de la lutte contre le texte. Nous avons fait aussi disparaître quelques traits de mauvais goût, en particulier la comparaison allégorique du sourire de Jupiter, que nous avons remplacée par un sens propre. (N.d.A.)
  2. Il y a encore un autre passage où ces amours sont décrites : c’est au VIIIe livre, lorsque Adam raconte à Raphaël les premières sensations de sa vie, ses conversations avec Dieu sur la solitude, la formation d’Eve et sa première entrevue avec elle. Ce morceau n’est point inférieur à celui que nous venons de citer, et doit aussi sa beauté à une religion sainte et pure. (N.d.A.)