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s’être à peine quittés de la veille. Où est donc la beauté de la peinture ? Dans la vérité.

Les modernes sont en général plus savants, plus délicats, plus déliés, souvent même plus intéressants dans leurs compositions que les anciens; mais ceux-ci sont plus simples, plus augustes, plus tragiques, plus abondants et surtout plus vrais que les modernes. Ils ont un goût plus sûr, une imagination plus noble : ils ne savent travailler que l’ensemble, et négligent les ornements ; un berger qui se plaint, un vieillard qui raconte, un héros qui combat, voilà pour eux tout un poème ; et l’on ne sait comment il arrive que ce poème, où il n’y a rien, est cependant mieux rempli que nos romans chargés d’incidents et de personnages. L’art d’écrire semble avoir suivi l’art de la peinture : la palette du poète moderne se couvre d’une variété infinie de teintes et de nuances : le poète antique compose ses tableaux avec les trois couleurs de Polygnote. Les Latins, placés entre la Grèce et nous, tiennent à la fois des deux manières : à la Grèce, par la simplicité des fonds, à nous par l’art des détails. C’est peut-être cette heureuse harmonie des deux goûts qui fait la perfection de Virgile.

Voyons maintenant le tableau des amours de nos premiers pères : Eve et Adam, par l’aveugle d’Albion, feront un assez beau pendant à Ulysse et Pénélope, par l’aveugle de Smyrne.


Chapitre III — Suite des Epoux. — Adam et Eve

Satan a pénétré dans le paradis terrestre. Au milieu des animaux de la création,

He saw

Two of far nobler aspect erect and tall

………………………..

………… Of her daughters, Eve[1].

« Il aperçoit deux êtres d’une forme plus noble, d’une stature droite et élevée, comme celle des esprits immortels. Dans tout l’honneur primitif de leur naissance, une majestueuse nudité les couvre : on les prendrait pour les souverains de ce nouvel univers, et ils semblent dignes de l’être. A travers leurs regards divins brillent les attributs de leur glorieux Créateur : la vérité, la sagesse, la sainteté rigide et pure, vertu dont émane l’autorité réelle de

  1. Par. lost, book IV, V. 288, 314 un vers de passé. Glasc., édit 1776. (N.d.A.)