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des Bataves, voisine et, pour ainsi dire, sœur de la Ligue ! Les Hollandais s’établissaient aux Indes, et Philippe recueillait les premiers trésors du Pérou ; Coligny même avait envoyé une colonie dans la Caroline ; le chevalier de Gourgues offrait à l’auteur de La Henriade l’épisode le plus touchant : une épopée doit renfermer l’univers.

L’Europe, par le plus heureux des contrastes, présentait au poète le peuple pasteur en Suisse, le peuple commerçant en Angleterre et le peuple des arts en Italie ; la France se trouvait à son tour à l’époque la plus favorable pour la poésie épique ; époque qu’il faut toujours choisir, comme Voltaire l’avait fait, à la fin d’un âge, et à la naissance d’un autre âge, entre les anciennes mœurs et les mœurs nouvelles. La barbarie expirait, l’aurore du siècle de Louis commençait à poindre ; Malherbe était venu, et ce héros, à la fois barde et chevalier, pouvait conduire les Français au combat en chantant des hymnes à la victoire.

On convient que les caractères dans La Henriade ne sont que des portraits, et l’on a peut-être trop vanté cet art de peindre dont Rome en décadence a donné les premiers modèles. Le portrait n’est point épique ; il ne fournit que des beautés sans action et sans mouvement.

Quelques personnes doutent aussi que la vraisemblance des mœurs soit poussée assez loin dans La Henriade. Les héros de ce poème débitent de beaux vers, qui servent à développer les principes philosophiques de Voltaire ; mais représentent-ils bien les guerriers tels qu’ils étaient au XVIe siècle ? Si les discours des Ligueurs respirent l’esprit du temps, ne pourrait-on pas se permettre de penser que c’étaient les actions des personnages encore plus que leurs paroles qui devaient déceler cet esprit ? Du moins, le chantre d’Achille n’a pas mis l’Iliade en harangues.

Quant au merveilleux, il est, sauf erreur, à peu près nul dans La Henriade. Si l’on ne connaissait le malheureux système qui glaçait le génie poétique de Voltaire, on ne comprendrait pas comment il a préféré des divinités allégoriques au merveilleux du christianisme. Il n’a répandu quelque chaleur dans ses inventions qu’aux endroits mêmes où il cesse d’être philosophe pour devenir chrétien : aussitôt qu’il a touché à la religion, source de toute poésie, la source a abondamment coulé.

Le serment des Seize dans le souterrain, l’apparition du fantôme de Guise qui vient armer Clément d’un poignard, sont des machines fort épiques et puisées dans les superstitions mêmes d’un siècle ignorant et malheureux.

Le poète ne s’est-il pas encore un peu trompé lorsqu’il a transporté