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L’abondance et la grandeur caractérisent le merveilleux du Messie. Ces globes habités par des êtres différents de l’homme, cette profusion d’anges, d’esprits de ténèbres, d’âmes à naître ou d’âmes qui ont déjà passé sur la terre, jettent l’esprit dans l’immensité. Le caractère d’Abbadona, l’ange repentant, est une conception heureuse. Klopstock a aussi créé une sorte de séraphins mystiques inconnus avant lui.

Gessner nous a laissé dans La Mort d’Abel un ouvrage plein d’une tendre majesté. Malheureusement il est gâté par cette teinte doucereuse de l’idylle, que les Allemands répandent presque toujours sur les sujets tirés de l’Ecriture. Leurs poètes pèchent contre une des plus grandes lois de l’épopée, la vraisemblance des mœurs, et transforment en innocents bergers d’Arcadie les rois pasteurs de l’Orient.

Quant à l’auteur du poème de Noé, il a succombé sous la richesse de son sujet. Pour une imagination vigoureuse, c’était pourtant une belle carrière à parcourir qu’un monde antédiluvien. On n’était pas même obligé de créer toutes les merveilles : en fouillant le Critias, les chronologies d’Eusèbe, quelques traités de Lucien et de Plutarque, on eût trouvé une ample moisson. Scaliger cite un fragment de Polyhistor touchant certaines tables écrites avant le déluge et conservées à Sippary, la même vraisemblablement que la Sipphara de Ptolomée[1]. Les muses parlent et entendent toutes les langues : que de choses ne pouvaient-elles pas lire sur ces tables !


Chapitre V - La Henriade

Si un plan sage, une narration vive et pressée, de beaux vers, une diction élégante, un goût pur, un style correct, sont les seules qualités nécessaires à l’épopée, La Henriade est un poème achevé ; mais cela ne suffit pas : il faut encore une action héroïque et surnaturelle. Et

  1. A moins qu’on ne fasse venir Sippary du mot hébreu Sepher, qui signifie bibliothèque. Josèphe, lib. I, ch. II, de Antiq. Jud., parle de deux colonnes, l’une de brique et l’autre de pierre, sur lesquelles les enfants de Seth avaient gravé les sciences humaines, afin qu’elles ne périssent point au déluge qui avait été prédit par Adam. Ces deux colonnes subsistèrent longtemps après Noé. (N.d.A.)