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douteux, malgré leur génie, qu’ils eussent pu soutenir jusqu’au bout l’intérêt dramatique. D’après cette remarque, il ne faut plus attribuer au christianisme la langueur qui règne dans le poème dont les principaux personnages sont des êtres surnaturels : cette langueur tient au vice même de la composition. Nous verrons, à l’appui de cette vérité, que plus le poète dans l’épopée garde un juste milieu entre les choses divines et les choses humaines, plus il devient divertissant, pour parler comme Despréaux. Divertir afin d’enseigner est la première qualité requise en poésie.

Sans rechercher quelques poèmes écrits dans un latin barbare, le premier ouvrage qui s’offre à nous est la Divina Commedia du Dante. Les beautés de cette production bizarre découlent presque entièrement du christianisme ; ses défauts tiennent au siècle et au mauvais goût de l’auteur. Dans le pathétique et dans le terrible, le Dante a peut-être égalé les plus grands poètes. Nous reviendrons sur les détails.

Il n’y a dans les temps modernes que deux beaux sujets de poème épique : les Croisades et la Découverte du Nouveau Monde. Malfilâtre se proposait de chanter la dernière ; les muses regrettent encore que ce jeune poète ait été surpris par la mort avant d’avoir exécuté son dessein. Toutefois ce sujet a pour un Français le défaut d’être étranger. Or, c’est un autre principe de toute vérité, qu’il faut travailler sur un fonds antique, ou, si l’on choisit une histoire moderne, qu’il faut chanter sa nation.

Les croisades rappellent La Jérusalem délivrée : ce poème est un modèle parfait de composition. C’est là qu’on peut apprendre à mêler les sujets sans les confondre : l’art avec lequel le Tasse vous transporte d’une bataille à une scène d’amour, d’une scène d’amour à un conseil, d’une procession à un palais magique, d’un palais magique à un camp, d’un assaut à la grotte d’un solitaire, du tumulte d’une cité assiégée à la cabane d’un pasteur, cet art, disons-nous, est admirable. Le dessin des caractères n’est pas moins savant : la férocité d’Argant est opposée à la générosité de Tancrède, la grandeur de Soliman à l’éclat de Renaud, la sagesse de Godefroi à la ruse d’Aladin ; il n’y a pas jusqu’à l’ermite Pierre, comme l’a remarqué Voltaire, qui ne fasse un beau contraste avec l’enchanteur Ismen. Quant aux femmes, la coquetterie est peinte dans Armide, la sensibilité dans Herminie, l’indifférence dans Clorinde. Le Tasse eût parcouru le cercle entier des caractères de femmes s’il eût représenté la mère. Il faut peut-être chercher la raison de cette omission dans la nature de son talent, qui avait plus d’enchantement que de vérité et plus d’éclat que de tendresse.

Homère semble avoir été particulièrement doué de génie, Virgile de