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épique est tout entier dans la tragédie : mais ne pourrait-on pas croire, au contraire, que c’est le drame qui est tout entier dans l’épopée ? Les adieux d’Hector et d’Andromaque, Priam dans la tente d’Achille, Didon à Carthage, Enée chez Evandre, ou renvoyant le corps du jeune Pallas, Tancrède et Herminie, Adam et Eve, sont de véritables tragédies, où il ne manque que la division des scènes et le nom des interlocuteurs. D’ailleurs, la tragédie même n’est-elle pas née de l’Iliade, comme la comédie est sortie du Margitès ? Mais si Calliope emprunte les ornements de Melpomène, la première a des charmes que la seconde ne peut imiter : le merveilleux, les descriptions, les épisodes, ne sont point du ressort dramatique. Toute espèce de ton, même le ton comique, toute harmonie poétique, depuis la lyre jusqu’à la trompette ; peuvent se faire entendre dans l’épopée. L’épopée a donc des parties qui manquent au drame ; elle demande donc un talent plus universel ; elle est donc une œuvre plus complète que la tragédie. En effet, on peut avancer, avec quelque vraisemblance, qu’il est moins difficile de faire les cinq actes d’un Oedipe roi que de créer les vingt-quatre livres d’une Iliade. Autre chose est de produire un ouvrage de quelques mois de travail, autre chose est d’élever un monument qui demande les labeurs de toute une vie. Sophocle et Euripide étaient sans doute de beaux génies ; mais ont-ils obtenu dans les siècles cette admiration, cette hauteur de renommée dont jouissent si justement Homère et Virgile ? Enfin, si le drame est la première des compositions, et que l’épopée ne soit que la seconde, comment se fait-il que depuis les Grecs jusqu’à nous on ne compte que cinq ou six poèmes épiques, tandis qu’il n’y a pas de nations qui ne se vantent de posséder plusieurs bonnes tragédies ?


Chapitre II - Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. — L’Enfer du Dante. — La Jérusalem délivrée

Posons d’abord quelques principes.

Dans toute épopée les hommes et leurs passions sont faits pour occuper la première et la plus grande place.

Ainsi, tout poème où une religion est employée comme sujet et non comme accessoire, où le merveilleux est le fond et non l’accident du tableau, pèche essentiellement par la base.

Si Homère et Virgile avaient établi leurs scènes dans l’Olympe, il est