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pour nier l’immortalité de l’âme et l’existence d’un Dieu vengeur. Toutefois nous n’ignorons pas que l’athéisme poussé à bout a recours à cette dénégation honteuse. Le sophiste, dans le paroxysme de la goutte, s’écriait : " O douleur ! je n’avouerai jamais que tu sois un mal ! " Et quand il serait vrai qu’il se trouvât des hommes assez infortunés pour étouffer le cri du remords, qu’en résulterait-il ? Ne jugeons point celui qui a l’usage de ses membres par le paralytique qui ne se sert plus des siens ; le crime à son dernier degré est un poison qui cautérise la conscience : en renversant la religion on a détruit le seul remède qui pouvait rétablir la sensibilité dans les parties mortes du cœur. Cette étonnante religion du Christ était une sorte de supplément à ce qui manquait aux hommes. Devenait-on coupable par excès, par trop de prospérité, par violence de caractère, elle était là pour nous avertir de l’inconstance de la fortune et du danger des emportements. Etait-ce, au contraire, par défaut qu’on était exposé, par indigence de biens, par indifférence d’âme, elle nous apprenait à mépriser les richesses, en même temps qu’elle réchauffait nos glaces et nous donnait, pour ainsi dire, des passions. Avec le criminel surtout, sa charité était inépuisable : il n’y avait point d’homme si souillé qu’elle n’admît à repentir ; point de lépreux si dégoûtant qu’elle ne touchât de ses mains pures. Pour le passé elle ne demandait qu’un remords, pour l’avenir qu’une vertu : Ubi autem abundavit delictum, disait-elle, superabundavit gratia : " La grâce a surabondé où avait abondé le crime[1]. " Toujours prêt à avertir le pécheur, le Fils de Dieu avait établi sa religion comme une seconde conscience pour le coupable qui aurait eu le malheur de perdre la conscience naturelle, conscience évangélique, pleine de pitié et de douceur, et à laquelle Jésus-Christ avait accordé le droit de faire grâce, que n’a pas la première.

Après avoir parlé du remords qui suit le crime, il serait inutile de parler de la satisfaction qui accompagne la vertu. Le contentement intérieur qu’on éprouve en faisant une bonne œuvre n’est pas plus une combinaison de la matière que le reproche de la conscience lorsqu’on commet une méchante action n’est la crainte des lois.

Si des sophistes soutiennent que la vertu n’est qu’un amour-propre déguisé, et que la pitié n’est qu’un amour de soi-même, ne leur demandons point s’ils n’ont jamais rien senti dans leurs entrailles après avoir soulagé un malheureux, ou si c’est la crainte de retomber en enfance qui les attendrit sur l’innocence du nouveau-né. La vertu et les larmes sont pour les hommes la source de l’espérance et la base

  1. Rom., c. v, v. 20. (N.d.A.)