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LIVRE SIXIÈME.

IMMORTALITÉ DE L'AME PROUVÉE PAR LA MORALE ET LE SENTIMENT.




Chapitre I - Désir de bonheur dans l’Homme

Quand il n’y aurait d’autres preuves de l’existence de Dieu que les merveilles de la nature, ces preuves sont si fortes qu’elles suffiraient pour convaincre tout homme qui ne cherche que la vérité. Mais si ceux qui nient la Providence ne peuvent expliquer sans elle les miracles de la création, ils sont encore plus embarrassés pour répondre aux objections de leur propre cœur. En renonçant à l’Etre suprême ils sont obligés de renoncer à une autre vie, et cependant leur âme les agite ; elle se présente pour ainsi dire devant eux, et les force, en dépit des sophistes, à confesser son existence et son immortalité.

Qu’on nous dise d’abord si l’âme s’éteint au tombeau, d’où nous vient ce désir de bonheur qui nous tourmente. Nos passions ici-bas se peuvent aisément rassasier : l’amour, l’ambition, la colère, ont une plénitude assurée de jouissance ; le besoin de félicité est le seul qui manque de satisfaction comme d’objet, car on sait ce que c’est que cette félicité qu’on désire. Il faut convenir que si tout est matière, la nature s’est ici étrangement trompée : elle a fait un sentiment qui ne s’applique à rien.

Il est certain que notre âme demande éternellement ; à peine a-t-elle obtenu l’objet de sa convoitise, qu’elle demande encore : l’univers entier ne la satisfait point. L’infini est le seul champ qui lui convienne : elle aime à se perdre dans les nombres, à concevoir les plus grandes comme les plus petites dimensions. Enfin, gonflée et non rassasiée de ce qu’elle a dévoré, elle se précipite dans le sein de Dieu, où viennent se réunir les idées de l’infini, en perfection, en temps et en espace ; mais elle ne se plonge dans la Divinité que parce que cette Divinité