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point la mort du cœur : il en est la règle. Il est à nos sentiments ce que le goût est aux arts : il en retranche ce qu’ils peuvent avoir d’exagéré, de faux, de commun, de trivial ; il leur laisse ce qu’ils ont de beau, de vrai, de sage. La religion chrétienne bien entendue n’est que la nature primitive lavée de la tache originelle.

C’est lorsque nous sommes éloignés de notre pays que nous sentons surtout l’instinct qui nous y attache. Au défaut de réalité, on cherche à se repaître des songes ; le cœur est expert en tromperies ; quiconque a été nourri au sein de la femme a bu à la coupe des illusions. Tantôt c’est une cabane qu’on aura disposée comme le toit paternel ; tantôt c’est un bois, un vallon, un coteau, à qui l’on fera porter quelques-unes de ces douces appellations de la patrie. Andromaque donne le nom de Simoïs à un ruisseau. Et quelle touchante vérité dans ce petit ruisseau qui retrace un grand fleuve de la terre natale ! Loin des bords qui nous ont vus naître, la nature est comme diminuée et ne nous paraît plus que l’ombre de celle que nous avons perdue.

Une autre ruse de l’instinct de la patrie, c’est de mettre un grand prix à un objet en lui-même de peu de valeur, mais qui vient de notre pays et que nous avons emporté dans l’exil. L’âme semble se répandre jusque sur les choses inanimées qui ont partagé nos destins : une partie de notre vie reste attachée à la couche où reposa notre bonheur, et surtout à celle où veilla notre infortune.

Pour peindre cette langueur d’âme qu’on éprouve hors de sa patrie, le peuple a dit : Cet homme a le mal du pays. C’est véritablement un mal, et qui ne peut se guérir que par le retour. Mais pour peu que l’absence ait été de quelques années, que retrouve-t-on aux lieux qui nous ont vus naître ? Combien existe-t-il d’hommes, de ceux que nous y avons laissés pleins de vie ? Là sont des tombeaux où étaient des palais, là des palais où étaient des tombeaux ; le champ paternel est livré aux ronces ou à une charrue étrangère, et l’arbre sous lequel on fut nourri est abattu.

Il y avait à la Louisiane une négresse et une sauvage, esclaves chez deux colons voisins. Ces deux femmes avaient chacune un enfant : la négresse une fille de deux ans, et l’Indienne un garçon du même âge ; celui-ci vint à mourir. Les deux mères étant convenues d’un endroit au désert s’y rendirent pendant trois nuits de suite. L’une apportait son enfant mort, l’autre son enfant vivant ; l’une son Manitou, l’autre son Fétiche ; elles ne s’étonnaient point de se trouver ainsi la même religion, étant toutes deux misérables. L’Indienne faisait les honneurs de la solitude : " C’est l’arbre de mon pays, disait-elle à son amie : assieds-toi pour pleurer. " Ensuite, selon l’usage des funérailles chez