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instincts, c’est l’amour de la patrie. Si cette loi n’était soutenue par un miracle toujours subsistant, et auquel, comme à tant d’autres, nous ne faisons aucune attention, les hommes se précipiteraient dans les zones tempérées, en laissant le reste du globe désert. On peut se figurer quelles calamités résulteraient de cette réunion du genre humain sur un seul point de la terre. Afin d’éviter ces malheurs, la Providence a, pour ainsi dire, attaché les pieds de chaque homme à son sol natal par un aimant invincible : les glaces de l’Islande et les sables embrasés de l’Afrique ne manquent point d’habitants.

Il est même digne de remarque que plus le sol d’un pays est ingrat, plus le climat en est rude, ou, ce qui revient au même, plus on a souffert de persécutions dans ce pays, plus il a de charmes pour nous. Chose étrange et sublime, qu’on s’attache par le malheur, et que l’homme qui n’a perdu qu’une chaumière soit celui-là même qui regrette davantage le toit paternel ! La raison de ce phénomène, c’est que la prodigalité d’une terre trop fertile détruit, en nous enrichissant, la simplicité des liens naturels qui se forment de nos besoins ; quand on cesse d’aimer ses parents parce qu’ils ne nous sont plus nécessaires, on cesse en effet d’aimer sa patrie.

Tout confirme la vérité de cette remarque. Un sauvage tient plus à sa hutte qu’un prince à son palais, et le montagnard trouve plus de charme à sa montagne que l’habitant de la plaine à son sillon. Demandez à un berger écossais s’il voudrait changer son sort contre le premier potentat de la terre. Loin de sa tribu chérie, il en garde partout le souvenir ; partout il redemande ses troupeaux, ses torrents, ses nuages. Il n’aspire qu’à manger du pain d’orge, à boire le lait de la chèvre, à chanter dans la vallée ces ballades que chantaient aussi ses aïeux. Il dépérit s’il ne retourne au lieu natal. C’est une plante de la montagne, il faut que sa racine soit dans le rocher ; elle ne peut prospérer si elle n’est battue des vents et des pluies : la terre, les abris et le soleil de la plaine la font mourir.

Avec quelle joie il reverra son toit de bruyère ! comme il visitera les saintes reliques de son indigence !

Doux trésors ! se dit-il, chers gages, qui jamais

N’attirâtes sur vous l’envie et le mensonge,

Je vous reprends : sortons de ces riches palais,

Comme l’on sortirait d’un songe.

Qu’y a-t-il de plus heureux que l’Esquimau dans son épouvantable patrie ? Que lui font les fleurs de nos climats auprès des neiges du Labrador, nos palais auprès de son trou enfumé ? Il s’embarque au